ART | CRITIQUE

Les Archives du cœur

PPierre Juhasz
@03 Oct 2008

L’œuvre de Christian Boltanski se présente comme un autoportrait et un memento mori. Quelque part dans l’obscurité de cette œuvre se profile l’ombre de Rembrandt, la lumière de ses multiples autoportraits, peut-être la pulsation de son cœur…

C’est dans la pénombre que l’on pénètre dans «Les Archives du cœur» de Christian Boltanski, au son amplifié des battements de son cœur. Les battements, au son fort et sourd, sont diffusés dans l’espace de la salle, un espace infusé d’ombre où clignote la faible lumière d’une ampoule esseulée, scintillant au rythme des pulsations cardiaques.
De très nombreux cadres, aux formats différents, sont accrochés au mur. Ces sous-verres, ces miroirs noirs, comme les appelle l’artiste, se donnent à voir comme des photographies, mais elles ne montrent rien, sinon la profondeur de leur surface noire et le reflet sur les vitres de la lumière de l’ampoule et de l’espace environnant. Le portrait est impossible. Pour être, il ne peut que montrer de l’invisible à travers les multiples reflets du monde des apparences.

A quelques pas de cette portion d’espace, lui faisant face, sur un écran souple, labile, légèrement en mouvement — un ventilateur posé derrière la surface translucide anime celle-ci de son souffle — l’image du visage de Christian Boltanski se métamorphose avec lenteur. Entre temps, titre de la vidéo projetée, est un long fondu enchaîné des photographies du visage de l’artiste, prises entre sa petite enfance et ses soixante ans. Ce portrait mouvant s’apparente à une photo d’identité diachronique et le noir et blanc de l’image, son flou si particulier, l’ampoule électrique à la lumière blafarde suspendue dans la pièce sont autant d’éléments qui constituent la signature formelle de l’artiste.

En quittant le lieu, le visiteur est invité à faire enregistrer ses propres pulsations cardiaques — qu’il pourra ensuite emporter —,  pour qu’elles rejoignent les Archives du cœur que Christian Boltanski constitue sur l’île d’Ejima dans la Mer du Japon.

L’œuvre est forte, prenante — on pénètre son vaste espace en écartant, à l’entrée de la salle, un rideau noir. Le rythme sourd et amplifié du flux cardiaque, entre systole et diastole, crée une troublante présence et conduit le spectateur au cœur d’une intimité, celle de l’artiste et celle de l’œuvre, avec force et délicatesse.

L’œuvre se présente comme un autoportrait et un memento mori et dans sa pénombre palpite toute l’histoire de ces genres, toute l’histoire de cet impossible désir de défier le temps et la mort en donnant présence plus encore qu’à une image de soi, à ce qui peut rester de soi comme un défi du temps, comme une voix profonde du corps et de l’être, comme un reste d’art.
Et pourtant, ce n’est pas le narcissisme qui est au rendez-vous, mais une méditation sur la condition humaine à travers la présence d’une identité singulière, parfois vagabonde, et  l’horizon d’altérité qu’elle ouvre, à la façon rimbaldienne, puisque «je est un autre».

Quelque part dans l’obscurité de l’œuvre de Boltanski se profile l’ombre de Rembrandt, la lumière de ses multiples autoportraits, peut-être la pulsation de son cœur….

Christian Boltanski
— Entre temps, 2003. Installation, vidéo.
— Le Cœur, 2006. Technique mixte.

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