PHOTO | CRITIQUE

L’Envers de soi

PRoland Cognet
@07 Juil 2008

L’exposition que la Maison européenne de la photographie consacre à Sophie Elbaz entend rendre compte de l’itinéraire de cette photojournaliste qui, privilégiant son désir d’expression et son exigence formelle, contribue à définir les contours de ce qui est parfois appelé le « reportage plasticien ».

L’exposition «L’Envers de soi» commence par un pêle-mêle de coupures de presse, de photographies et de pages de livres punaisées ou encadrées. Cette installation précise les références et les ambitions de Sophie Elbaz : Robert Frank et Raymond Depardon, une écriture à la première personne et des photographies en rupture avec l’imagerie attendue des médias.

Contre toute attente, reportage réalisé entre 1993 et 1995 en Croatie dans les camps de réfugiés, se veut témoignage contre l’oubli. On y distingue les influences de Susan Meiselas et de Gilles Peress avec lesquels Sophie Elbaz avait travaillé pendant sa formation à l’International Center of  Photography.

La plupart des photographies noir et blanc, aux dimensions et à l’encadrement classiques, sont simples et descriptives. D’autres font la part belle au contre-jour et aux noirs profonds, aux reflets et aux superpositions de plans. Certaines sont particulièrement agitées : des pieds chaussés de rangers pénètrent brusquement le premier plan de l’image. Toutes traduisent la résignation et l’angoisse des réfugiés.

1995 est une année importante. Sophie Elbaz découvre Cuba et prend ses distances avec l’actualité brûlante et dramatique. Elle initie alors un reportage au long cours sur l’opéra de la Havane. Le Garcia Lorca apparaît comme un monde autonome et décalé. Le noir et blanc renforce ce caractère atemporel.

Développant une position d’auteur affirmant un style personnel, cherchant à s’exprimer plus qu’à documenter, Sophie Elbaz abandonne le noir et blanc et exploite les altérations des diapositives couleurs et les possibilités des tirages pigmentaires. L’exposition de la MEP fait malheureusement l’impasse sur ces expérimentations, mais se termine par la récente série Aleyo qui développe les thèmes du sacré, du corps et du politique à Cuba.

Les grands tirages couleur contrecollés sur aluminium traduisent l’ambition de s’inscrire dans le champ de l’art. Mais, à la différence de la plupart des photojournalistes attirés par les murs des galeries, Sophie Elbaz ne s’est pas contentée d’agrandir ses photographies. Le caractère très personnel de ses images est renforcé par leur présentation en polyptyques étranges et poétiques. L’artiste joue sur les lumières très contrastées, les couleurs passées et les matières usées de Cuba. Il est vrai qu’elle ne nous épargne pas toujours les effets faciles offerts par ce lieu décidément très photogénique. Pour autant, nulle photographie de voyage. Ou alors, pour reprendre les mots de l’artiste, les visions d’un «voyage intérieur».

Publication
Aleyo. Le sacré, le corps et le politique, éd. Images en Manœuvres, 2008.

Sophie Elbaz
— Série Aleyo, 2007. Photographies.
— Série Contre toute attente, 1994. Photographies.
— Série El Lorca, 1995. Photographies.

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