DANSE | CRITIQUE

Le vrai spectacle

PSophie Grappin-Schmitt
@22 Avr 2012

Après le théâtre de Gennevilliers, le Centre Pompidou programmait l'étrange proposition de Joris Lacoste intitulée Le vrai spectacle qui propose en lieu et place d'une représentation une séance d'hypnose. Une expérience intéressante qui nous invite à interroger les conditions comme les modalités de notre réception du spectacluaire.

Le vrai spectacle s’inscrit avec une certaine forme de singularité dans la lignée des pièces qui interrogent et problématisent la position du spectateur.
Non pas directement comme l’a si souvent fait Jérôme Bel, mais après coup, en créant un hiatus dans la réception qui empêche presque le travail critique de se faire au moment même de sa réception.
Le vrai spectacle
tient donc les promesses de son titre: il s’agit bel et bien d’une illusion, de celle dont on se laisse bercer et qui vous tiennent jusqu’à la sortie de la salle, si tant est que vous souhaitiez vous y abandonner…

Par le processus qu’il propose — celui de l’hypnose — Le vrai spectacle de Joris Lacoste pose donc la délicate question de la passive activité du spectateur.
En se rendant à une représentation de la pièce, le spectateur sait qu’il se rend à une séance d’hypnose, tout comme il sait lorsqu’il se rend à une séance de cinéma, de théâtre, de danse etc. la nature de la représentation. Or cette conscience de l’expérience à venir, toujours nourrie par l’attente, la surprise, la déception ou la défaillance — surtout dans le cas du spectacle vivant —, prend une toute autre dimension avec l’expérience de l’hypnose. Il s’agit dès lors d’accepter ou non d’être subjugué, de croire en un état suggéré, un état de conscience altérée qui suppose dans un premier temps de ne pas craindre le spectacle, puis d’en être partie prenante.

Ainsi le «vrai» spectacle n’aura pas réellement lieu sur scène ni même dans nos imaginaires, comme on nous l’annonce en début de spectacle à travers l’idée — peut-être même la promesse — d’une succession d’images ou d’évocations poétiques que nous verrions surgir avec magie devant nous, mais bien plutôt dans le processus qui s’opère en nous.
Car ce lâcher-prise, cet état de corps en semi-veille, empesé, offre déjà un spectacle absorbant. Il pose réellement problème en ce sens qu’après cette expérience on désire scruter comment l’on réceptionne toutes les autres représentations. Comment, par exemple, agit la kinesthésie en danse: sur des corps en quel état?

Bien installé dans un fauteuil, isolé des autres par une place laissée vacante de chaque côté et calé par une couverture dans une position qui permet l’immobilité, le regard seul ou plutôt la vision coordonne l’ensemble des sens, concentre la pensée.
Sur scène, la voix du Rodolphe Congé doublée du dispositif sonore et lumineux fait apparaître dès les premiers instants de subtiles illusions. Une aura violine entoure l’orateur, l’image doucement crépite, puis peu à peu les effets s’accentuent. De subtils brouillages en décalages, l’image du performer creuse des espace puis se voit défigurée pour nous permettre d’y poser nos reconfigurations et pénétrer d’avantage dans la production active de l’illusion: le principe même de projection joue à plein.
En fond de scène, un mur en hémicycle obscur passera par toutes les teintes de gris, se colorant parfois avec une délicatesse infinie, spectacle littéralement fascinant alors même qu’il ne se passe rien, qu’on nous encourage d’ailleurs à fermer les yeux pour recevoir les paupières clauses de nouvelles fréquences lumineuses et sonores. Et si l’on sombre dans le sommeil, le réveil est léger; le corps reposé toutefois émet ce doute: que s’est-il donc passé?

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