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Le vicomte pourfendu

Quel est le trait commun entre les œuvres d’Anne-Lise Coste, Ian Kiaer, Laura Lamiel, Charlotte Moth, Jean-Charles de Quillacq et Marcellvs L.?
Toutes sont des réponses à la fameuse injonction formaliste: faire de l’art pour l’art.
Les créations des artistes contemporains réunies à la galerie Marcelle Alix sont donc des réalisations formelles mettant en scène l’objet artistique pour mieux questionner son essence.
Quelle est la fonction de l’art? Qu’est-ce qui permet à une œuvre d’art d’être une œuvre d’art?
Vastes questions auxquelles chaque création apporte une réponse singulière.

Ainsi, le Perfect mask (VI) de Jean-Charles de Quillacq est une image photographique altérée dans sa quasi-totalité par la surface collante de morceaux d’adhésif, seuls rescapés de cette épilation sacrificielle. Il ne reste plus rien de la couche chargée de pigments: la peau de l’image a disparu.
Cette dégradation volontaire de la surface de la photographie met en valeur la réalité de sa matière au détriment de l’objet qu’elle est censée représenter a priori.
Ce qui prime, c’est donc l’image en tant qu’image, sa tactilité comme sa vulnérabilité, et non sa fonction d’instrument et de capteur du réel.

La maquette d’Ian Kiaer, II Baciamano: brown, posée sur le sol de la galerie, accorde elle aussi une place privilégiée aux éléments matériels qui la constituent. Carton, plastique, aluminium et latex sont mis à nu – détachés de leur mission utilitaire et de leur production de masse, révélant leur caractère à la fois précaire et hermétique.

Les photographies en noir et blanc de Charlotte Moth, Counter work four, Kunsthalle Basel (After Architects) et Counter Work Five, Kunsthallle Basel (Strange Comfort), laissent à voir, sous deux angles différents, l’image d’un rideau à sequins installé dans une salle d’exposition vide.
Il s’agit de la mise en abyme d’une création antérieure – le cadre des photographies donnant une impression de profondeur en écho avec le lieu initial de l’installation.
Mais cette fois, le regardeur est invité à se focaliser non pas sur ce qui est susceptible de se cacher derrière le rideau, mais sur la surface imagée du tissu en elle-même.
C’est un nouveau travail qui est donc présenté, lequel s’éloigne de l’expérience sculpturale originelle pour en proposer une nouvelle, basée sur la photographie en tant qu’empreinte matérielle d’une tentative artistique passée.

Même travail de mise en abyme chez Laura Lamiel qui présente, sur de l’acier sérigraphié émaillé, l’image d’une installation antérieure.
Là encore, le blanc immaculé – tel un fil conducteur entre toutes ses créations, est omniprésent.
The Wall (fragment) se compose d’ailleurs de briques émaillées, mais contient aussi quelques morceaux de matériaux ordinaires (mousse, caoutchouc, tissu, papier), soulignant le contraste entre la trajectoire infinie de l’idée artistique et l’ancrage fini des éléments qui lui donnent corps.

Les peintures d’Anne-Lise Coste, Monochrome au pouce (everest) et Monochrome au pouce (pink, pink pink), exécutées au spray, donnent à voir deux couleurs franches – le bleu et le rose – corrompues par la présence d’une trace noire surgissant à l’intérieur même des tableaux.
Est-ce le pouce de l’artiste que l’on observe alors?
La monstration de l’œuvre en tant qu’œuvre semble faire partie intégrante des peintures d’Anne-Lise Coste, rendant visible ce qui est ordinairement dissimulé: le geste créatif comme source initiale de toute création.

Enfin, le film de Marcellvs L.: 9493, projeté au sous-sol de la galerie, nous plonge à l’intérieur d’une tente dans laquelle un petit garçon, imperturbable malgré les bourrasques malmenant son abri, joue à la console vidéo. Allongé dans son duvet, comme envoûté par la musique émanant de son jeu, il ne prête aucune attention à l’agitation du dehors.

Est-ce le risque encouru par l’artiste conceptuel qui, à force de commenter formellement son art, oublie de commenter concrètement son monde?

Å’uvres
— Jean-Charles de Quillacq, Perfect mask (IV), 2010. Intervention au scotch sur impression jet d’encre. 90 x 60 cm
— Ian Kiaer, II Baciamano: brown, 2011. Maquette en carton, plastique, aluminium et latex.
— Charlotte Moth, Counter Work Four, Kunsthallle Basel (After Architects), 2010. Tirage argentique noir et blanc. 17 x 23.5 cm, 29 x 35 cm avec cadre
— Charlotte Moth, Counter Work Five, Kunsthallle Basel (Strange Comfort), 2010. Tirage argentique noir et blanc. 17 x 23.5 cm, 29 x 35 cm avec cadre
—Laura Lamiel,The Wall (fragment), 2000-2012. Briques émaillées, néon, mousse caoutchouc, tissu, papier. Dimensions variables.
— Laura Lamiel, sans titre, 2008. Acier sérigraphié émaillé. 33 x 49,5 cm
— Anne-Lise Coste, Monochrome au pouce (everest), 2012. Peinture au spray sur toile. 31,3 x 42,5 cm
— Anne-Lise Coste, Monochrome au pouce (pink, pink pink), 2012. Peinture au spray sur toile. 31,3 x 23,7 cm
— Marcellvs L., 9493, 2011. Film HD. 11min 16