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Le Tableau de chasse

En décembre 1989, Gilles Saussier photographie pour l’agence Gamma la révolution roumaine. Quinze ans plus tard, il revient à Timisoara mettre en relation ses images de presse avec les événements de 1989, le passé plus lointain et la situation actuelle du pays. Vigoureuse critique du photoreportage.

Information

Présentation
Gilles Saussier
Le Tableau de chasse

«Il ne suffit pas d´être au cœur des grands événements et de les photographier pour écrire l´histoire. Dans « Le Tableau de chasse », je reviens sur mes propres photographies de la révolution roumaine, prises entre le 23 et le 26 décembre 1989 lorsque j´étais reporter à l´agence Gamma.

Ces photographies -dont un instantané de soldats sous le feu, publié dans Time, Stern, Paris-Match- permettent-elles de penser au présent l´histoire des événements de la révolution roumaine?

Je suis retourné depuis 2003 à plusieurs reprises enquêter à Timisoara et montrer mes photographies à des acteurs de la révolution roumaine. Ces images, prises avec les premiers reporters étrangers, et ne concernant pas les journées décisives de l´insurrection entre le 16 et le 20 décembre, ont peu intéressé mes interlocuteurs roumains.

À Timisoara, aucune photographie n´a permis d’établir la responsabilité de l’armée roumaine dans le meurtre de 146 civils et les blessures infligées à 400 autres personnes. On sait cependant que c’est l’armée roumaine qui a tiré sur la foule désarmée et non pas la Securitate qu’aucun reporter étranger n’a pu voir ni photographier.

Parce qu’elle montre des soldats de l’armée roumaine victimes de tirs, que les journaux ont systématiquement attribué à la Securitate, ma photographie de Stern a symboliquement dédouané l’armée de ses crimes envers les civils.

Vingt ans après les événements, on ne sait toujours pas qui tirait sur ces soldats mais on continue de publier ma photographie. Pour la profession, cette image reste une excellente image de guerre. Pour tous ceux qui cherchent à penser la révolution roumaine, elle est une image dont il faut travailler l’actualité.

C´est ce travail que je propose en confrontant cette photographie à des nouvelles séries d’images sur lesquelles on voit des journalistes tirer au fusil lors d’un voyage de presse de la fédération de chasse de Timisoara ou bien des portraits d’ouvrières de l´usine Elba, où a été déclenchée la première grève de la révolution roumaine.

La monumentalité des images-symboles, affranchie le plus souvent des exigences minimum de contextualisation, fige la pensée et le questionnement de l´histoire. Ces séries proposent au contraire d´autres lectures et une méditation sur le rapport des images à l’histoire, à la mémoire, au monument.

Elle interrogent également la manière dont l’héroïsme des reporters peut parfois recouvrir celui des acteurs des événements eux-mêmes.» (Gilles Saussier)

Gilles Saussier, né en 1965, développe depuis une dizaine d’années des projets qui entrecroisent photographie documentaire, art conceptuel et anthropologie visuelle. À l’étranger, son travail a notamment été présenté à la Documenta de Kassel (2002), au Kunstmuseum de Bâle (2005) et au MACBA de Barcelone (2008). Il a notamment publié Studio Shakhari bazar (Le Point du Jour, 2005).