ÉDITOS

Le stade du miroir

PAndré Rouillé

A la fois forme, objet, figure et matériau, le miroir est curieusement — symptomatiquement — présent dans plusieurs expositions parisiennes, celles de Philippe Poupet (Galerie Eric Dupont), Frank Scurti (Palais de Tokyo), Jean-Louis Accettone (EOF), Philippe Meste (Galerie Jousse entreprise) et Nedko Solakov (Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois).

A la fois forme, objet, figure et matériau, le miroir est curieusement — symptomatiquement — présent dans plusieurs expositions parisiennes, celles de Philippe Poupet (Galerie Eric Dupont), Frank Scurti (Palais de Tokyo), Jean-Louis Accettone (EOF), Philippe Meste (Galerie Jousse entreprise) et Nedko Solakov (Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois).
Le miroir est certes un accessoire familier de l’art, auquel la photographie a, au XXe siècle, accordé une large place — qu’il suffise de se rappeler les autoportraits de Florence Henri, ou les Distorsions d’André Kertész. Sauf évidemment avec l’œuvre de Michelangelo Pistoletto, ou avec le célèbre Miroir (1990) de Gerhard Richter, rarement le miroir n’a autant qu’aujourd’hui été exposé en tant que tel. Auparavant plutôt accessoire de l’art ou objet représenté, il est désormais ce qui est présenté.

Et la conjonction nécessairement fortuite de plusieurs expositions dans la seule ville de Paris est certainement significative de plusieurs orientations de l’art contemporain.

Le miroir est l’une des formes de la dématérialisation de l’art, de la disparition de l’épaisseur des œuvres au profit de la surface. Passage du rugueux au lisse, du tactile au visuel pur. Disparition de la profondeur matérielle autant que corporelle. L’œuvre-miroir est une œuvre sans matière propre, sans forme fixe, sans aspérité, sans trace du corps de l’artiste. C’est précisément cette absence du corps de l’artiste que vient exemplairement souligner Philippe Meste dont le sperme, projeté sur le miroir, vient buter, depuis son extérieur, sur l’œuvre-surface. Le miroir n’est pas un support, mais un matériau d’abolition de la profondeur de l’œuvre et de toute inscription de l’artiste en son sein.

L’œuvre-miroir est l’expression d’un autre passage: celui de la représentation à la réflexion et à la fragmentation, celui de la fixité au mouvement et au transitoire. Le miroir ne représente pas, il réfléchit les scènes mouvantes qui se déroulent devant lui. Alors que la représentation est le produit d’une construction nécessairement déformante, transformatrice et subjective, le miroir est réputé offrir une image automatique, fidèle, impartiale et muette des choses. C’est a contrario ce que révèle Nedko Solakov quand il fait parler les miroirs.

Chacun des sept miroirs aux épais cadres dorés accrochés dans la Galerie Vallois comporte sur sa tranche des phrases manuscrites qui sont autant d’interpellations adressées aux visiteurs, des commentaires et des appréciations, voire des injonctions: «Ouvrez votre bouche ! Plus… plus… un peu plus encore. Plus ! Restez ainsi aussi longtemps que possible et tout va s’arranger».
Tout en mettant en doute la relation entre vérité et reflet («Vous êtes tellement moche! Heureusement ce miroir est suffisamment poli pour ne pas vous dire la vérité»), les miroirs parlants de Nedko Solakov inversent les rapports entre les œuvres et les visiteurs, et portent à son plus haut degré ce qu’accomplissent les miroirs dans nombre d’œuvres d’aujourd’hui: les rendre interactives. Un autre défi pour l’art.

André Rouillé

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Photo : Nedko Solakov, Mirror, 2003. Bois, feuille d’or, miroir, encre permanente. Photo : paris-art.com. Courtesy Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois.

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