ART | CRITIQUE

Le Souffle

PAnne Malherbe
@12 Jan 2008

Dans un couloir de L’Etage, l’une des trois galeries de La Générale, Jonathan Loppin a mis en scène une installation qui occupe plusieurs pièces. L’installation invite l’esprit au vagabondage, mais elle se visite aussi bien comme le décor d’un film qui attendrait son histoire et ses personnages.

On arrive par le couloir tendu d’une tapisserie dont les motifs noirs et blancs sont soit excessivement vieillots soit extraordinairement tendance. «Tendu» n’est d’ailleurs pas le mot exact, car la tapisserie se boursoufle de toute part. Ce n’est pas qu’on l’ait mal appliquée, mais c’est qu’elle s’octroie un volume et un espace auxquels elle n’a pas droit d’habitude. On est dans un mauvais rêve où les objets ont plus d’existence qu’ils ne devraient en avoir.

Sur la droite, une première porte ouvre sur une première chambre. C’est une chambre triste. Elle est sans recherche, sans chaleur, sans plaisir. Un pantalon gris est posé sur le lit en métal à la couverture bien tirée. Sur le petit bureau, traîne un livre, un vieux bloc-notes qui semble sortir des années 1950, des mégots dans un cendrier, un paquet de cigarillos, un livre sérieux (dont on ne voit pas le titre), des trombones, un gros aimant, des dossiers, un fond de vin dans un verre.
On est en quête d’indices: quelle est l’âme qui hante ce lieu? depuis quand la pièce est-elle vide? à quelle époque sommes-nous? On croit entrevoir la silhouette de l’un de ces vieux professeurs de philosophie, célibataires et sans âge, qui hantaient les couloirs du lycée.

La première chambre communique avec une deuxième, privée de mobilier et aux murs enduits de noir. C’est la chambre nocturne, le moment où toutes les nuits se ressemblent, la période où le sommeil, dépourvu de rêves, pourrait aussi bien être la mort.

Puis on entre dans la troisième pièce. Dans l’enfilade des portes, on perçoit qu’elle est installée en miroir par rapport à la première: la même veste posée sur le fauteuil, avec un journal dans la poche, les mêmes gobelets sur la table de nuit, le même bibelot en forme de mains jointes.
Inutile de chercher les erreurs de l’une à l’autre: s’il y a des différences, elles sont dues à l’empressement négligent des visiteurs. L’une est la parfaite réplique de l’autre. Y a-t-il la chambre réelle et la chambre du rêve? Y a-t-il la chambre du soir et la chambre du matin, comme si le sommeil, contrairement à nos certitudes, nous faisait nous déplacer dans un endroit toujours légèrement décalé par rapport à celui où l’on s’est endormi?
L’auteur se réfère à Proust qui, dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs, décrit ces instants où le dormeur, n’ayant pas tout à fait repris conscience, ne parvient plus à savoir quelle est la chambre où il s’éveille.

Dans l’ultime pièce, de l’eau s’écoule indéfiniment d’un robinet ouvert. Le lavabo est seul au milieu de la pièce. L’eau est la matérialisation sonore et visuelle d’un temps illusoirement identique à lui-même. C’est parce qu’elle est portée par le temps que la vie peut paraître aussi triste qu’irréelle.

Jonathan Loppin
— Le Locataire, 2006. Installation.
— Le Locataire, 2006. Installation.
— Le Souffle, 2006. Lavabo et colonne, eau.
— Sans titre, 2006. Photo couleur.

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