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Le séjour dans l’eau ne transforme pas le tronc d’un arbre en peau de crocodile (Seydou Badian)

05 Sep - 10 Oct 2009
Vernissage le 05 Sep 2009

Oeuvrant tout à la fois dans la profondeur du tableau peint, à la surface du médium numérique, Carole Benzaken parvient à mettre en scène un théâtre multiple, qui travaille simultanément le dedans et le dehors, l'intime et la surface, le code collectif et la mémoire individuelle.

Carole Benzaken
Le séjour dans l’eau ne transforme pas le tronc d’un arbre en peau de crocodile (Seydou Badian)

Le travail de Carole Benzaken s’appuie à la fois sur une banque d’images relevées dans la presse et les médias et sur une base de films et de photographies personnels.

Oeuvrant tout à la fois dans la profondeur du tableau peint, à la surface du médium numérique, l’artiste parvient à mettre en scène un théâtre multiple, qui travaille simultanément le dedans et le dehors, l’intime et la surface, le code collectif et la mémoire individuelle.

Abandonnant les repères anthropomorphiques d’une vision trop statique, elle propose une logique visuelle inédite, multiaxiale, sans hiérarchie, ouverte sur l’infini tout en prenant sa source au plus intime de l’imaginaire. Un regard de l’envol, capable de mixer zooms et plans panoramiques, réalisme et rêve.

Là où le modèle cinématographique demeurait conforme à la structure rationnelle de la culture occidentale qui se construit selon une logique narrative de causes à effets, d’un début vers une fin, la matrice rhizomatique du flux numérique expose le navigant à des logiques intellectuelles inattendues.

Mais Carole Benzaken ne demande pas au spectateur de choisir. Au contraire, elle a plutôt l’air de prendre acte d’une période de mutation passionnante, qui autorise toutes les hybridations. Si le travail veille à toujours surprendre en n’étant jamais tout à fait là où on l’attend, il se construit à la frontière d’un dispositif cinématographique inscrit dans le déroulement et la durée, et d’un dispositif en écran, qui stratifie le visible, jouant davantage de l’épaisseur optique que de la profondeur narrative.

Si bien que, de toutes parts, on retrouve une oscillation entre l’image-mouvement, qui file de la gauche vers la droite et brouille la figure, et l’image-écran qui se trame, se tresse et s’opacifie à force d’additionner les calques dans l’épaisseur de l’image.

Il en va ainsi de la proposition synthétique de La manne. Trois écrans disposés en triptyque diffusent la séquence infinie d’une marche. Un homme progresse à l’horizon d’un paysage qui hésite entre paradis et «no man’s land», zone frontière entre sable et océan.

Alors que la progression du personnage renoue avec la linéarité du Rouleau à Peinture, le morcellement en trois écrans de cette errance se souvient de la mise en grille moderniste des Tulipes ou de la série «By Night», cherchant à contenir la fluidité du présent numérique. Mais ici, Carole Benzaken superpose à la surface de son déroulé infini une seconde grille, picturale et aléatoire celle-là, qui troue et couvre simultanément l’ensemble du flux cinématographique.

C’est toute une esthétique de l’épaisseur de l’image numérique qui se dévoile alors, pour mettre à nu les illusions narratives et rationnelles d’une image construite sur un mensonge mimétique.

Ce va et vient entre image-mouvement et image-écran devient particulièrement opératoire dans la confrontation entre les (Lost) Paradise et les Zem. Dans un cas, le spectateur plonge de plus en plus loin derrière les trames de peintures qui irriguent en grilles aléatoires la surface d’imageries codifiées, évoquant tout à la fois des vacances paradisiaques et la mémoire coloniale des plages de l’esclavage.

La peinture se fait surface et texture du souvenir, offrant une matière à la membrane translucide du refoulé historique. Dans l’autre cas, le spectateur est aux prises avec une fugacité insaisissable, qui impose un vertige du regard et attaque la stabilité du visible.

Quelque chose traverse la peinture, qui n’est plus qu’un «moyen de transport». La narration se noie à ce point dans la vivacité du présent, qu’il n’est plus permis de comprendre d’où vient l’instant, ni où il part. Ne reste dans l’œil qu’une rémanence rétinienne, toute entière ancrée dans la référence à une logique cinématographique, qui avoue son inaptitude à rendre compte du présent. Seule une trace de peinture demeure, comme une tache jaune inoubliable.

Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Céline Piettre sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.

critique

Le séjour dans l’eau ne transforme pas le tronc d’un arbre en peau de crocodile (Seydou Badian)

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