DANSE | SPECTACLE

Le Réel, Lo Real, The Real

12 Fév - 20 Fév 2013
Vernissage le 12 Fév 2013

Israel Galván ré-invente le flamenco et pulvérise les relents folkloristes sous lesquels le franquisme avait voulu étouffer cet art rebelle par essence. Sa dernière création, Le Réel, est attisée par la mémoire, tragique mais largement occultée, de la persécution et de l’extermination des gitans par les nazis.

Israel Galván
Le Réel, Lo Real, The Real

Il est l’astre du flamenco. Dans la lignée des Vicente Escudero, Carmen Amaya, Antonio Farruco et Mario Maya (qui fut l’un de ses maîtres), il a su faire d’un art séculaire, dont les racines plongent si profond que l’origine s’en est perdue, un art du présent. Au plus vif de ses blessures, de ses soubresauts, de ses disjonctions électriques. Corps conducteur de fulgurances, Israel Galván sidère. Restent sans nom les énergies qu’il capte dans l’air sec du temps comme dans la braise de la mémoire, les forces invisibles et souterraines dont son mouvement est le sismographe. Baile jondo, comme on le dit du chant, quand il puise aux entrailles, et qu’il entaille l’obscur. Israel Galván est un chaman contemporain.

Dans El final de este estado de cosas, redux, il dansait l’Apocalypse. Rien de moins. Mais l’Apocalypse, ça reste abstrait. Israel Galván s’apprête maintenant à danser le Réel. Celui de l’Histoire. Pas n’importe quel Réel, pas n’importe quelle Histoire: la persécution et l’extermination des Gitans pendant la Seconde Guerre mondiale. Ligne souvent oubliée dans la comptabilité macabre de la barbarie nazie. Déportés, internés, des milliers d’entre eux furent tués dans les camps d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, de Chelmno, de Belzec, de Sobibor et de Treblinka. «Ce n’était pas une surprise : dans notre souvenir, on nous avait toujours arrêtés, en temps de paix ou en temps de guerre», raconte un survivant dans le film Canta Gitano (1981) de Tony Gatlif.

«Il faut racheter la mort des gestes», écrivait Hervé Guibert. Pour Israel Galván, il s’agit d’éveiller le spectre de ces corps qui furent perdus à jamais, inexorablement. De retrouver la sève de ces « hommes des basses-terres », alors même qu’aujourd’hui encore la stigmatisation poursuit les populations Roms. Mais aussi bien, de questionner « l’attirance nazie, presque maladive, pour le monde sévillan de Carmen », avec illustration à la clé, le film Tiefland de Leni Riefenstahl, tourné entre 1941 et 1944, où la cinéaste incarne elle-même une danseuse gitane. Le tout sans pathos, car Israel Galván veut aussi se souvenir que jusque dans les camps, «les gitans continuaient à plaisanter, à chanter, à faire l’amour.[…] La «forme de vie» qu’incarnent les gitans continue à être une source vitale ; ils ont toujours la force de nous regarder face à face.»

Dans cet impossible à danser le Réel, outre ses habituels collaborateurs (Pedro G. Romero et Txiki Berraondo, Bobote), et les musiciens et chanteurs qui l’accompagnent (Chicuelo, Tomás de Perrate et David Lagos, les groupes Sistema Tango et Proyecto Lorca*), le «danseur des solitudes» partage pour la première fois la scène avec deux grandes «bailaoras» de sa génération, belén maya et isabel bayón. Plus que jamais, dit Israel Galván, il fallait «danser avec les autres».

par Jean-Marc Adolphe

* Antonio Moreno & Juan Jiménez Alba.

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