ART

Le quatrième mur était complètement dégagé

PAugustin Besnier
@23 Fév 2011

Par des jeux de dépliage, de réflexion et de projection, Maïder Fortuné parvient à soustraire la réception au contenu de la représentation, et à en révéler la richesse essentielle. Si les œuvres n’ont pas toutes la même force, l’exposition révèle une approche cohérente et généreuse de la perception, que l’on explore avec une agréable sérénité.

Comme un poisson dans l’eau. L’œuvre phare de l’exposition de Maïder Fortuné à la galerie Martine Aboucaya, Carrousel (2010), plonge le spectateur dans un environnement trouble où la focalisation optique est perturbée. Projetée sur un large pan de mur, la vidéo explore en un lent travelling l’intérieur d’un appartement, glissant silencieusement d’une pièce à l’autre. La particularité de ces images: un jeu sur la profondeur de champ et sur la mise au point qui rend l’espace flou, à l’exception de quelques éléments rendus nets par la position de la caméra.

L’effet est réussi. Portés par le courant, nous dérivons dans ce lieu, volontiers contraints d’y porter un regard distrait, dans l’impossibilité de détacher et de fixer les objets de notre choix. Au fil des minutes, c’est le vide de l’espace que nous voyons, à la fois inconsistant et dense. Entre rêverie et trouble de la vue, le spectateur recouvre dans cet aquarium visuel une vision originelle, dont la passivité technique déjoue toute hiérarchisation des choses perçues.
Fixé au mur, un petit miroir concave complète l’installation. Tout en reproduisant le procédé (la concavité dissipe toute profondeur de champ), ce miroir renvoie l’image d’une vision égocentrique, abstrayant l’environnement à mesure que le spectateur s’approche pour préciser son reflet.

Le miroir et le trouble se retrouvent dans la vidéo Souffle (2011). La buée déposée par un souffle est filmée à travers un miroir sans tain. Par intervalles, des taches de couleurs se forment sur l’écran, puis disparaissent en s’évaporant. Bien que le processus n’apparaisse pas, le tempo d’une respiration lente se ressent, et donne à chaque pulsation une fragile vitalité. L’évanescence de l’image épouse celle de la vie, tout en l’inscrivant dans une pérennité technique (la vidéo est diffusée en boucle). Exposée à proximité de Carrousel, cette œuvre prolonge avec finesse l’expérience d’une perception primaire.

C’est encore ce qu’expérimente l’installation Aurore/s (2011). Maïder Fortuné aurait synthétisé les valeurs de gris contenues dans chaque image du film L’Aurore de Murnau, pour composer autant de monochromes gris qu’il y a de photogrammes. Projeté sur un papier calque suspendu, le film ainsi «désincarné» se perçoit comme une lueur vacillante, traduit en poésie lumineuse. Si le dispositif manque un peu d’aplomb, on se plaît à se laisser distraire par ce scintillement caractéristique, que nulle image à proprement parler n’envahit par sa charge signifiante ou narrative.

Ce déshabillage de l’image, l’artiste l’opère enfin plus littéralement dans la série des Figures défaites (2011). Chacune d’elles se présente comme la photographie d’un origami déplié, dont n’apparaissent plus que les traces de pliures. Déployer la sculpture, mettre à plat la figure pour en abstraire l’armature: l’image est une fois encore détachée de son sens et offerte à une vision épurée.

Par des jeux de dépliage, de flou, de réflexion et de projection, Maïder Fortuné parvient à soustraire la réception au contenu de la représentation, et à en révéler la richesse essentielle. Perdre les repères spatiaux, figuratifs et narratifs permet de s’immerger autrement dans l’image et d’entretenir avec elle un rapport purement phénoménologique. Si les œuvres n’ont pas toutes la même force (les Figures défaites, notamment, ne parviennent pas à rompre avec une certaine tendance contemporaine du papier plié et scanné), l’exposition révèle une approche cohérente et généreuse de la perception, que le visiteur explore avec une agréable sérénité.

— Maïder Fortuné, Figures défaites, 2011. 14 photographies couleur. Tirages jet d’encre sur papier baryté. 25 x 25 cm chacun
— Maïder Fortuné, Souffle, 2011. Video HD, couleur, muet. 5 minutes en boucle
— Maïder Fortuné, Aurore/s, 2011. Installation. Video DV, N&B, muet. VIdeoprojection et Papier calque. 1h 26 min en boucle
— Maïder Fortuné, Carrousel, 2010. Video HD Mscope, couleur, sonore. 13 minutes en boucle. Videoprojection et Miroir loupe.

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