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Le Narré des îles Schwitters

Patrick Beurard-Valdoye
Le Narré des îles Schwitters
Année de publication: 2008
336 pages

Cinquième volume du Cycle des exils, ce nouveau “récitclage” de Patrick Beurard-Valdoye narre à partir de matériaux mis bout à bout l’exil de Kurt Schwitters (1887-1948) “nordfuyant” le nazisme pour la Norvège, puis l’Angleterre — ses œuvres ayant été, en effet, retirées des musées puis accrochées à titre d’exemple lors de l’exposition officielle d’art dégénéré de Munich le 19 juillet 1937.

Proliférant selon une architecture toute “merzbausienne” — sensations de collages de sources multiples et peu identifiables —, le texte issu de documents glanés dans les archives publiques de moult musées et/ou fondations, oscille entre récit narratif et langage aux accents proches de l’Ursonate de Schwitters. Des extraits en langues étrangères non traduits obligent le lecteur à les considérer de façon purement sonore. Patrick Beurard-Valdoye ne dit-il pas d’ailleurs, lors de son entretien avec Christophe Berdaguer et Marie Péjus dans la revue Il Particulare n° 17-18, que “certains textes sont conçus pour l’oralité exclusive” ?

Il est intéressant de situer la démarche de Patrick Beurard-Valdoye, ancien critique d’art, qui outrepasse le modèle biographique classique et brouille les catégories littéraires en mêlant récits romanesques courts, rebuts d’archives, textes en langues étrangères, réappropriation et mise en perspective poétique d’archives à partir de points de fuite de personnages à plusieurs focales.

Patrick Beurard prend ainsi des libertés totales avec l’histoire. Sans preuve, il imagine la rencontre fictive mais probable de Kurt Schwitters et Wilhelm Reich, exilés en Norvège et œuvrant tous deux sur la question de la libido, l’un avec sa Cathédrale de la Misère érotique, le second avec son livre Généralités dans la théorie et la thérapie des névroses.
Dans cette “relation fugueuse” à l’histoire, ou plutôt à une histoire plurielle, Patrick Beurard-Valdoye devient “narrauteurs”. Il incorpore une multitude de voix, “confondant narré et vérité translatant par là l’embarqué dans des espaces dédoublés, simulés, jusqu’à la perte d’identité” .

Dans ces “assemblages en croissance”, Patrick Beurard-Valdoye coud poétiquement ses sources décomplexées dépourvues de notes en bas de page. On aimerait vérifier, réifier la trame initiale à l’origine de cette narration déliée.
Déliée aussi par le délitement de la ponctuation considérée par l’auteur comme “la police secrète de la langue” . L’auteur n’aime pas la police, il laisse aller la langue errer sans garde fou ; il y a perte de l’agent de circulation. On ne sait plus comment respirer. On est typographiquement égaré dans le narré.

Se délite la ponctuation, mais se dilate aussi l’espace lorsque Kurt “entre dans le bleu insonore, [et] déserte la terre (il est créature sur l’île déserte)”. Dans la plasticité de cette Merzbiographie, Kurt Schwitters retrouve “l’immensité intime” de son être insulaire. La “prolifération mémnosyne”, pour reprendre les termes de Jean-Luc Nancy, permet de suivre les flux disparates de cet acte de mémoire et de commémoreration simultanés.

 

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