ART | CRITIQUE

Le Musée Maillol s’expose

PNicolas Villodre
@15 Avr 2008

Depuis plusieurs saisons, le Musée Maillol présente des expositions temporaires, riches et variées, conçues par Olivier et Bertrand Lorquin, les fils du modèle du sculpteur, Dina Vierny. On a pu voir ou revoir les œuvres de Basquiat, Keith Haring, Toulouse-Lautrec, Rauschenberg, Schad, Klimt, Bert Stern, Weegee, etc.

Dans cette rue tranquille du faubourg Saint-Germain, un hôtel particulier du XVIIIe siècle, réhabilitation immobilière et profane d’un couvent de franciscains récollets, orné en sa façade extérieure de la Fontaine des quatre saisons (1746) de Bouchardon, est devenu, voici une douzaine d’années, un musée privé, par la seule volonté de Dina Vierny, ex-modèle ayant, dès l’age de seize ans, posé pour Aristide Maillol ainsi que pour Bonnard, Dufy, Matisse, reconvertie après-guerre en galeriste d’art, rue Jacob.

L’espace qu’a eu à gérer l’architecte Pierre Devinoy a dû être compartimenté, cloisonné, tiré au cordeau, pour installer la collection permanente du musée (du lourd, du solide, du costaud : des bronzes à échelle humaine, encombrants, représentant, c’est fascinant quand on y songe, la maîtresse de maison généralement en tenue d’Eve) et les expositions temporaires, imaginées ou accueillies par les frères Lorquin, les grands enfants de Mme Vierny.
Si l’on manque parfois de recul, et surtout de hauteur de plafond, il faut reconnaître que le moindre recoin disponible a été exploité de la façon la plus rationnelle qui soit. Ainsi, une des caves a été transformée en cafétéria tandis que, dans la cour, l’ancienne loge des gardiens s’est métamorphosée en une pimpante boutique de musée.

D’une part, donc, comme entrée en matière, les trésors personnels de Mme Vierny ; de l’autre, les objets assemblés de façon éphémère par le directeur et le conservateur du musée, Olivier et Bertrand Lorquin.
Ces deux coïncident dans une série de manifestations ayant pour but de marquer une pause dans la course sans fin au sensationnel, au spectaculaire, à l’attrape-gogos — ce que Bertrand Lorquin appelle «le rythme soutenu des expositions depuis l’ouverture du musée» —, servant de projet ou de politique culturelle à nombre d’institutions parisiennes (le Musée du Luxembourg, la «Pinacothèque»), tout en présentant des pièces de l’affection de la fondatrice.

Une surprise attend le visiteur qui aura été attiré par l’audacieux poster de l’urinoir signé «Richard Mutt» affiché sur les murs en faïence du métropolitain parisien, annonçant à grands coups de trompette une expo parrainée Métrobus, Thalys, Ouest Affiches, etc.
Celle-ci n’étant, en définitive, ni consacrée à Duchamp ni à la peinture moderne, peut-on dire qu’il y a tromperie sur la marchandise? Abus de com’? Sans doute un peu de tout cela à la fois. Car, à côté d’indiscutables chefs-d’œuvre de la peinture du siècle dernier, et même d’un peu avant (Ingres, Degas, Suzanne Valadon, Matisse, Picasso, Kandinsky), on peut aussi trouver pas mal de nanars.
Mais là également, il y aurait matière à discussion : qu’est-ce qui distingue une croûte de Poliakoff (dont six tableaux augurent ou inaugurent le parcours) d’une croûte de Kupka (non représenté ici) ? Physiquement, pas grand chose : les mauvais pigments, mal fixés, mal conservés, ont perdu leur éclat d’origine ; la peinture craquelle de partout ; les formes se détachent à peine de la grisaille d’ensemble. Artistiquement parlant, au contraire, l’un, Kupka, est pionnier dans son domaine (l’abstraction), tandis que l’autre ressemble bel et bien à un suiveur comme il y en a eu à la pelle…

De tous les artistes présentés, Poliakoff est loin d’être le plus inintéressant. Certaines œuvres pourraient ainsi faire partie d’un musée imaginaire du kitsch — les petits bronzes de Cornelis Zitman, par exemple. Pour être plus positif, on dira que l’exposition est éclectique. Certes, personne ne saisira vraiment les critères esthétiques qui ont présidé au choix des pièces ou des tableaux, pas plus que ceux qui ont guidé Dina Vierny dans la constitution de sa collection.
Le conservateur a beau citer comme exemple historique Wilhelm Uhde, le galeriste qui découvrit Picasso avant Kahnweiler, dont Mme Vierny aurait suivi les conseils avisés, voire le goût sûr en matière de néo-primitivisme, on n’est pas plus avancé pour autant. Nombre de pièces semblent plutôt avoir été achetées pour dépanner les rapins (ce qui, humainement parlant, est plus que louable), accumulées machinalement, faute de grives, troquées on ne sait pas vraiment dans quelles conditions, chinées ici ou là.

Au milieu de ce bric-à-brac, l’œuvre de Duchamp, apparaît également de bric et de broc, protégée de la poussière ou de la tentation tactile par une immense vitrine.
La célèbre Fontaine (1917), exemplaire du ready-made qui fit scandale en son temps, réplique de l’urinoir en porcelaine réalisée en 1964 par la galerie Schwarz) ; Roue de bicyclette (1913) ; Porte-bouteilles (1914) acheté à l’origine au BHV ; Fresh Widow (1920), fenêtre miniature, bois peint en bleu et 8 carreaux de cuir ciré noir sur une tablette de bois ; La Boîte en valise (1936), coffret en carton recouverte de cuir rouge contenant des reproductions miniatures d’œuvres ; le Trébuchet (1917) posé verticalement à même le sol ; la Pelle à neige achetée à New York en 1915 sur laquelle l’artiste avait écrit: «In advance of the broken arm (en prévision du bras cassé)» ; Apolinère Enameled (1916–1917), readymade rectifié à la gouache et au crayon sur plaque publicitaire émaillée vantant à «Sapolin Enamel» ; le sensuel Prière de toucher (1947), empreinte en plâtre de sein de femme, sur velours ; un des rotoreliefs ou disques utilisés dans le film réalisé avec l’aide de Man Ray et Marc Allégret, Anémic Cinéma (1926), avec une contrepèterie pas vraiment drôle disposée en spirale :
« Inceste ou passion de famille à coups trop tirés », etc.

Les œuvres des deux autres frères Villon sont également présentes. Au milieu des œuvres (Maggy, 1912 de Raymond Duchamp-Villon ; autoportrait de 1908 et La Fille aux mains jointes, 1909, de Jacques Villon, de nombreux dessins de Marcel réalisés autour de 1910), une très émouvante photo les montre tous trois dans un jardin boueux du boccage normand, l’un d’eux ayant chaussé ses gros sabots de bois.

Catalogue

— Bertrand Lorquin, Le Musée Maillol s’expose, Gallimard/Musée Maillol, Paris, 2008.

Marcel Duchamp
— Fontaine, 1917. Exemplaire du ready-made, réplique de l’urinoir en porcelaine de 63 x 48 x 35 cm, réalisée en 1964 par la galerie Schwarz.
— Roue de bicyclette, 1913. Métal et tabouret en bois peint.
— Porte-bouteilles, 1914. Fer galvanisé, acheté à l’origine au BHV. 64 x 42 cm
— Fresh Widow, 1920. Fenêtre miniature, bois peint en bleu et 8 carreaux de cuir ciré noir sur une tablette de bois. 79,2 x 53,2 x 10 cm
— La boîte en valise, 1936. Rééditée en série limitée en 1968, coffret en carton recouverte de cuir rouge contenant des reproductions miniatures d’œuvres, 69 photos, fac-similés, collés sur chemise noire. 40,7 x 38,1 x 10,2 cm
— Le Trébuchet, 1917. Posé verticalement à même le sol.
— La Pelle à neige, 1915. Achetée à New York sur laquelle l’artiste avait écrit : «In advance of the broken arm (en prévision du bras cassé)»
— Apolinère Enameled, 1916–1917. Readymade rectifié, gouache et crayon sur plaque publicitaire émaillée vantant à l’origine «Sapolin Enamel», fixé sur bois.
— Prière de toucher, 1947. Empreinte en plâtre de sein de femme, sur velours, présenté sous-verre. 41,8 x 34,7 x 7,1 cm.
— Maggy, 1912 de Raymond Duchamp-Villon.
— Autoportrait de 1908 de Jacques Villon.
— La Fille aux mains jointes, 1909, de Jacques Villon.
— Dessins de Marcel réalisés autour de 1910.
— Photo montrant les trois frères Villon dans un jardin boueux du boccage normand, l’un d’eux ayant chaussé ses gros sabots de bois.

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