ART | CRITIQUE

Le Mur

Vernissage le 13 Sep 2003
PCaroline Lebrun
@12 Jan 2008

À mi-chemin entre le reportage et l’exploration intime, le travail d’Ange Leccia cherche son point d’équilibre, toujours instable, toujours dérobé. L’exposition révèle subtilement la double dimension de l’œuvre.

Dans la première salle, l’accrochage joue sur la confrontation de deux univers. Le mur principal est occupé sur toute sa longueur par une succession de huit plaques émaillées qui évoque un grand paysage abstrait en noir et blanc. Intitulée Introspection, cette œuvre est entourée par deux grandes photographies de couleurs vives qui présentent des gros plans de visages de femmes, éclatants sous la lumière brûlante du soleil. Leur titre, Extérieur I et II, tranche avec Introspection.

Ce contraste se retrouve dans la vidéo Le Mur qui occupe la seconde salle de la galerie et prête son titre à l’exposition. Mélange de visions intérieures et documentaires, le film est projeté sur un mur de parpaings en ciment. Le montage d’une durée de 20 minutes a été effectué à partir d’une sélection d’extraits empruntés au long métrage Azé. Projeté récemment au MK2 Bibliothèque de Paris, ce film présentait le récit d’un terroriste parti se réfugier au Moyen-Orient. Il a été réalisé par Ange Leccia, au cours de ses voyages en Palestine, au Liban, en Syrie, au Maroc et à la Mecque.

Abolition des frontières, errance du regard, le nouveau montage du film évoque avec force la situation des pays arabes en pleine décomposition politique. La vidéo diffusée en boucle entraîne le regard dans une succession de villes, de visages et de paysages. Les frontières géographiques s’effacent dans un mouvement perpétuel et circulaire. Les images viennent mourir sur ce pan de mur, seul élément constant et immobile. Comme le souligne Pascal Beausse, l’œuvre d’Ange Leccia adopte le cycle d’une respiration : « Il parvient à suspendre le temps, pour construire des situations qui se régénèrent sans cesse » (« Ange Leccia, éblouissement », in Artpress, n°277).

Le brouillage visuel est entretenu au niveau sonore. Musique orientale, volume à fond, signaux radios, bruits de moteurs, klaxons, explosions et tirs de mitraillettes s’enchaînent sur un rythme très enlevé. On reconnaît les mosquées, l’image pixélisée et mouvante d’une procession à La Mecque, puis on passe d’une ruelle étroite à l’immensité du désert, d’un visage de femme à un groupement militaire, de la densité du trafic urbain à des habitations désolées… Seule volupté : la caméra se pose sur le visage des femmes. Leur beauté impassible ponctue le film de silences visuels.

Cette présence sensuelle est emplie d’espoirs. Mais ces moments de grâce éclatent sous la mitraille. S’impose la sensation tenace d’une précipitation inéluctable vers le néant. Des plans de ruptures viennent briser les perspectives.
Le spectateur se perd dans la confusion agitée des arrestations, des cellules blafardes sous la lampe électrique, des barreaux, des véhicules en partance… Comme l’explique Fabien Danesi à propos du long métrage Azé : « La présence militaire fait contrepoint à la suavité et laisse planer la menace sur les moments les plus sereins. En enchaînant les ambiances dans un kaléidoscope rythmé, l’intrigue atteste que la beauté est toujours clandestine : elle est liée à l’éphémère et au volatil. La captation d’instants délicats crée une poésie de la trace qui exprime la fugacité des fragments esthétiques ».

L’horizon de cet affairement constant est condamné par le pan de mur qui sert d’écran aux images. Un mur nu mais solide sur lequel les formes se désagrègent continuellement.

Ange Leccia :
— Extérieur II, 2003. Photo couleur, plexiglas et aluminium. 166 x 123 cm.
— Extérieur I, 2003. Photo couleur, plexiglas et aluminium. 83 x 220 cm.
— Le Mur, 2003. Arrangement vidéo, 20’ en boucle. Dimensions variables.
— Introspection, 2003. 8 plaques émaillées. 145 x 90 cm chaque.
— Alexandrie, 1997-2003. Photo couleur, plexiglas et aluminium. 65,6 x 120,5 cm.

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