ART | EXPO

Le jardin de Cyrus

22 Nov - 19 Jan 2008
Vernissage le 21 Nov 2007

Conçue en écho aux observations réelles et fantasmées évoquées dans le roman Les Anneaux de Saturne de W.G. Sebald et dans le texte Le Jardin de Cyrus de l’alchimiste anglais du XVIIe siècle Thomas Browne, cette exposition réunit des œuvres qui tendent à contenir et cristalliser la mémoire de formes et d’histoires passées tout en anticipant d’hypothétiques futurs.

Mark Geffriaud, Alexander Gutke, Joachim Koester, Benoît Maire, Bojan Šarčević, Raphaël Zarka, Batia Suter, Mark Manders, Roger Willems.
Le jardin de Cyrus

En août 1992, l’auteur allemand W.G. Sebald entreprend un voyage à pied à travers la côte est de l’Angleterre au cours duquel il se trouve confronté à de multiples traces de destruction et d’abandon trouvant leurs origines dans un passé plus ou moins éloigné. Les Anneaux de Saturne sont le résultat de ce voyage : une fantasmagorie kaléidoscopique dans laquelle souvenirs personnels et faits historiques, observations et fiction, passé et présent s’entremêlent. Obsédé par les marques omniprésentes de désintégration qu’il observe dans le paysage et l’histoire des petites villes côtières, le narrateur anonyme chemine également dans la spirale de ses pensées évoquant entre autres les guerres de l’opium en Chine, la vie en haute mer de Joseph Conrad, ou encore l’œuvre de l’alchimiste anglais du XVIIe siècle Thomas Browne, Le Jardin de Cyrus. Dans ce discours publié la première fois en 1658, Browne livre une vision mystique des interconnexions entre l’art, la nature et l’univers via une étude du chiffre 5 et de la disposition en quinconce. Par une accumulation vertigineuse d’exemples (pris dans des œuvres d’art, des observations botaniques, des constructions architecturales, des mythes païens et religieux, etc) illustrant la façon dont le monde semble conçu et « géométrisé » à partir d’un même motif et de ses variations, Le Jardin de Cyrus invite à une relecture plus fantasmagorique et fragmentaire que rationnelle ou chronologique de l’Histoire.

Comme l’écrit Sebald : « Fidèle à son propre dessein, Browne répertorie les modèles qui se répètent le plus souvent, donnant lieu à une multitude apparemment illimitée de formes dissemblables. C’est ainsi que dans sa dissertation sur le jardin de Cyrus, il traite du quinconce, figure constituée par les angles et le point d’intersection des diagonales d’un carré. Cette structure, Browne la découvre partout, dans la matière vivante ou morte, dans certaines formes cristallines, chez les étoiles de mer et les oursins, sur la peau de plusieurs espèces de serpents, dans les traces entrecroisées des quadrupèdes, dans la configuration du corps des chenilles, papillons, vers à soie, phalènes, dans la racine des fougères d’eau, les enveloppes des graines de tournesol et de pins parasols, au cœur des jeunes pousses de chêne, dans les tiges de prêle et dans les œuvres d’art des hommes, dans les pyramides d’Egypte et dans le mausolée d’Auguste, mais aussi dans les jardins du roi Salomon, dans l’ordonnance des lys blancs et des grenadiers qui y sont alignés au cordeau. » (W.G. Sebald, Les Anneaux de Saturne, Gallimard, Folio, Paris, 2003, pp. 35-36)

Conçue en écho aux observations réelles et fantasmées évoquées dans le roman de Sebald et dans le texte de Browne, cette exposition réunit des œuvres qui tendent à contenir et cristalliser la mémoire de formes et d’histoires passées tout en anticipant d’hypothétiques futurs. A travers elles est ainsi évoquée la question de la transmission et des processus de mémoire dans la généalogie des images, des objets et des architectures qui nous entourent.

Empruntant à Aby Warburg (1866-1929) la notion de survivance – dont il fit le motif central de son approche anthropologique de l’art occidental –, cette exposition invite à une lecture non linéaire de l’histoire et de ses formes. Dans ses recherches, Warburg nous introduit aux paradoxes constitutifs de l’image elle-même : sa nature de fantôme et sa capacité de « revenance » et de hantise à même de donner naissance à un savoir nouveau et décloisonné. Qu’elles renvoient à des espaces, à des objets ou à des images existantes, les œuvres présentées dans cette exposition semblent habitées par les fantômes des formes qui les ont précédées. On assiste ainsi à travers elles à un glissement de temps, un chevauchement de temporalités a priori contradictoires.

Dans ses sculptures récentes – situées dans le prolongement des préoccupations qui animaient la série photographique des Formes du Repos –, Raphaël Zarka réalise des formes inspirées d’outils de mécanique ou considérées pendant la Renaissance comme des formes « parfaites ». Privées de leurs fonctions originales, ces répliques d’objets se situent aujourd’hui dans une sorte de hors-temps. Le travail de Mark Geffriaud tient également de cet entre-deux. Par de multiples jeux d’associations et d’organisation subjective d’informations variées, il travaille à la remise en circulation d’images tirées du passé. Incarnées à nouveau dans le présent autour d’un propos absent, elles forment une archéologie du savoir dont les préoccupations scientifiques rationnelles s’effacent au profit d’une logique subjective et poétique. Les collages de la série Tirésias Ouverte de Benoît Maire actualisent un mythe classique en jouant de la dialectique voyant/non-voyant tout en évoquant les premières images et représentations d’événements ou de choses existantes. Caracas 1966-2000 d’Alexander Gutke formule la persistance du présent dans un souvenir, en animant une image du passé tandis que Waste Basket rend compte d’une activité laborieuse finalement vouée à l’échec et à la disparition. Dans la série de collages 1954, réalisée à partir d’images d’intérieurs tirées d’un magazine allemand d’architecture des années 1950, Bojan Šarčević souligne à la fois la projection et la disparition d’un idéal de vie sociétal. La série photographique The Kant Walks de Joachim Koester travaille également à la matérialisation et à la confusion de différentes temporalités historiques à travers une dérive dans la ville de Kaliningrad/ Königsberg. Reproduisant les trajets quotidiens du philosophe dans sa ville natale, il confronte ainsi la Königsberg du XVIIIe siècle avec ce qu’elle est devenue aujourd’hui, sous le nom de Kaliningrad et l’influence de l’ère soviétique à la suite de la Seconde Guerre mondiale.

La réunion de ces œuvres et la présentation d’un certain nombre de livres et de documents dans le cadre semi-domestique de l’espace d’exposition de la Galerie Edouard Manet se veut l’amorce de narrations fragmentaires et elliptiques à même de permettre à chacun d’élaborer son propre jardin de Cyrus.

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