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Le hasard comme méthode

Volontaire et imprévisible à la fois, systématiquement organisé ou livré aux configurations mouvantes de l’accident, le hasard a toujours eu une place dans le processus de création artistique. Par l’analyse des œuvres et des textes d’une dizaine d’artistes, Sarah Troche examine ici certaines figures privilégiées de l’aléa dans les arts du XXe et XXIe siècle.

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Sarah Troche

Le hasard comme méthode

Le hasard comme méthode explore les démarches d’artistes qui ne recourent jamais au hasard «par hasard». Ils le pratiquent et le pensent au contraire à travers des méthodes rigoureuses où l’activité artistique croise la philosophie et les sciences. Le hasard est appréhendé en situation dans sa dimension opératoire, à travers l’analyse des œuvres, des méthodes et des textes d’une dizaine d’artistes et de musiciens dont les figures principales sont André Breton, Max Ernest, Marcel Duchamp, Pierre Boulez, John Cage et François Morellet.

Distinct de l’accident et de l’informe, le hasard comme méthode se définit comme un exercice d’attention, une discipline qui interroge les limites de l’invention, le goût, la mémoire et l’oubli, les conditions de la perception. Comprendre ce qui est en jeu lorsque John Cage assimile le hasard au silence, lorsque Marcel Duchamp le met «en conserve» ou qu’André Breton cherche à «l’objectiver» conduit, dans chaque cas, à restituer un champ théorique spécifique qui permet à cette question de se déployer en dehors des oppositions classiques de l’ordre et du désordre, du contrôle et de la déprise, de la forme et de l’accident.

«Peintre résolument joueur, qui perturbe les lignes et chatouille les angles droits, François Morellet a tôt fait du hasard son allié. L’aire de jeu est toujours soigneusement délimitée: nul caprice d’artiste derrière les lignes tracées “au hasard”, nulle subjectivité à l’œuvre dans la prolifération des carrés aléatoires, mais un hasard entièrement programmé, indissociable d’un système explicitement posé en amont de l’œuvre, comme une règle du jeu partageable et indéfiniment réitérable. Cheminant vers l’infini à travers les coordonnées du chiffre π, organisant méthodiquement le désordre, les règles du jeu que se fixe François Morellet sont, à bien des égards, proches de l’esprit «dada» et d’une certaine forme de vide: variable aléatoire de systèmes rigoureusement définis, le hasard s’inscrit dans une visée volontaire démystificatrice qui engage, plus largement, une forme de «dénaturation» joyeuse, en lien avec la pensée du philosophe Clément Rosset.

La constance et l’extrême cohérence de la production de Morellet vont de pair avec la prolifération des commentaires, joyeusement sérieux (ou l’inverse), toujours inventifs, intempestifs. Ce flux de paroles qui sous-tend la production artistique illustre la position paradoxale d’un artiste qui ne dit “rien” en ne cessant de parler (“mais comment taire mes commentaires?”) — c’est là, nous le verrons, non une contradiction, mais le cœur même de sa démarche. Nous retrouvons le lien entre hasard et génie, exposé précédemment dans les jeux de dés musicaux, qui se déploie ici de manière critique: le hasard est l’acteur principal d’une entreprise de désacralisation, qui permet de redéployer l’invention sur le mode du “pseudo” et de l’“artifice”. Le travail de Morellet articule de manière singulière la mise en système du hasard à une réflexion théorique sur la nature du choix dans la production artistique et sur les mécanismes de sa réception, que nous confronterons aux œuvres de Véra Molnar, de Sol LeWitt, d’Ellsworth Kelly, comme à la musique de Steve Reich.»

Sommaire
— Préface, par Bernard Sève
— Introduction
PARTIE I: HASARD ET MEMOIRE
— Chapitre I: La Nouvelle Méthode d’Alexander Cozens, ou comment réaliser une tache artificielle
— Chapitre II: «Par hasard ou comme par hasard»: les frottages et les collages de Max Ernst
— Chapitre III: Le hasard objectif d’André Breton: le «nœud du problème des problèmes»
PARTIE II: JEUX DE HASARD
— Chapitre IV: Composer avec deux dés: invention et art combinatoire dans la musique du XVIIIe siècle
— Chapitre V: Le hasard domestiqué par l’œuvre ouverte
— Chapitre VI: François Morellet: désordres systématiques et pseudo-génie
PARTIE III: HASARD ET SILENCE
— Chapitre VII: Marcel Duchamp: «hasard en conserve» et mécanique de précision
— Chapitre VIII: John Cage: silence et indétermination
— Conclusion
— Bibliographie
— Index nominum
— Index thématique