ART | EXPO

Le deuxième sexe et autres

07 Oct - 31 Oct 2008
Vernissage le 09 Oct 2008

A la fois "kitsch" et raffinées, les oeuvres de Michaela Spiegel mêlent jeux visuels et jeux sémantiques dans des décalages et des détournements perpétuels.

Communiqué de presse
Michaela Spiegel
Le deuxième sexe et autres

« Das Institut für Heil & Sonderpädagogik »* présente « Le deuxième sexe et autres », un aperçu foisonnant et pluriel du travail et des recherches de Michaela Spiegel, artiste autrichienne vivant actuellement à Paris.

Avec une ironie mordante semblable à celle du cynique Antisthène cherchant dans les rues d’Athènes, lanterne éclairée en plein jour, l’essence d’Homme proclamée par Socrate, Michaela Spiegel défend l’inessentialité de « La » Femme.

Dans une posture résolument existentialiste, l’artiste entend déconstruire, avec un sens de l’humour aigu et subversif, la mythologie de La Femme, d’une supposée « nature féminine », de ses attributs et de ses qualités, pour ne retenir de la femme que ce qu’elle n’est substantiellement : un individu, défini par des marquages culturels et psychologiques, dont il importe, pour l’artiste, de se libérer.

D’emblée, l’œuvre protéiforme et sans concession de Michaela Spiegel impose son engagement. Mais artiste d’abord, c’est concrètement, au travers de propositions plastiques, qu’elle entend dévoiler pan par pan le soi-disant « continent noir » dont Freud aurait voulu atteindre les confins.

Depuis près de vingt ans, Michaela Spiegel explore donc plastiquement les multiples et complexes facettes de la condition féminine au travers de peintures, mais aussi de collages, de photomontages, de vidéos et d’installations.

La peinture, d’abord, que l’exposition « le deuxième sexe et autres » montre essentiellement. Pour Michaela Spiegel, la peinture est un objet, un moyen comme un autre d’exprimer ses préoccupations ; elle n’entend pas faire de la « belle peinture » et induit dans la manière même dont elle utilise ce médium, un sens inopiné.

Toutes les peintures présentées ici sont réalisées sur un fond de brocard de soie tendu, une belle toile damassée très « aristocratique », très élégante, telle qu’on en trouve dans les intérieurs cossus d’Autriche, son pays natal, et de manière générale, dans tous les intérieurs riches, les châteaux, les grandes maisons.

L’artiste utilise ce support textile de manière kitsch, en en détournant le raffinement au profit d’une sorte de mauvais goût assumé, y reproduisant des portraits de people aussi divers que Courtney Love, Imelda Marcos, Arnold Schwarzenegger ou Wallis Simpson entourée de ses carlins.

Michalea Spiegel fait de la peinture « Halbseide », autrement dit de la peinture de « demi-soie », expression allemande qu’on utilise pour qualifier une femme de mauvaise vie, peu fréquentable ; une peinture pas très nette et un peu sale, donc… sur la plus luxueuse des étoffes.

Toute la richesse du travail de Michalea Spiegel trouve ici son illustration, dans cette stratification, dans ce foisonnement tous azimuts, intellectuel et réjouissant, dans ces entrelacs de jeux visuels et de jeux sémantiques, dans ces décalages perpétuels, ces transvaluations permanentes, ces détournements esthétiques, ces télescopages qui ouvrent toujours une troisième voie, dans cette décontextualisation vivace qui force à d’autres significations et réactive sans cesse le sens.

Il n’y a donc guère d’étonnement, dans ce contexte, que Michalea Spiegel ait choisi de présenter ses séries de peintures sous l’égide – hommage décalé et audacieux- de Simone de Beauvoir, auteur d’un « Deuxième sexe » hautement scandaleux en son temps.

En présentant un diptyque de Simone de Beauvoir nue, sans pudeur* et malicieuse, il ne s’agissait pas pour l’artiste de relancer quelque polémique médiatique, mais de régénérer la force rebelle et le souffle de liberté de la pensée, et de la vie, de la philosophe figure majeure d’un féminisme nouveau, qui explosa les carcans intellectuels et moraux tout en réconciliant les inconciliables cartésiens de la chose étendue et de la chose pensante, corps et esprit enfin aussi peu tabous l’un que l’autre… Une manière de dire que l’intellectuelle a un corps et qu’un corps de femme peut être pensant.

On reconnaîtra donc une certaine forme de filiation, bien que Michaela Spiegel incline résolument vers l’humour acerbe plutôt que vers l’esprit de sérieux. Mais cela n’empêche nullement, bien au contraire, l’acuité de sa réflexion sur la condition des femmes, attentive à leur histoire et à leur émancipation, dans une dimension sociologique quoique sans prétention scientifique, et existentialiste.

Et si elle rejette toute allégation d’anti-masculinisme, on ne pourra non plus lui faire le procès d’un féminisme complaisant. Les « caractères féminins » épinglés par Michalea Spiegel offrent de bien peu tendres portraits, et, avec cette distance et cette dérision, les femmes que l’artiste a choisi de dépeindre sont loin des canons et des modèles du genre. « Loin des « sex-symbols » vendus par la société des hommes », explique l’artiste, « les femmes devraient être capables de choisir leurs propres « role-symbols », sur d’autres critères ».

Simone de Beauvoir pourrait-elle faire partie des « Destiny childs », série de peintures consacrée à ces femmes dont le destin tout tracé bifurque brusquement et prend le chemin de la liberté ? Une liberté parfois chèrement extorquée, pour Ulrike Meinhof***, pour Patty Hearst, deux femmes que l’artiste montre, dans une sorte d’analyse à rebours, au temps de l’innocence enfantine, sourire espiègle, nattes et communions…

Elle invite alors à se demander quelles histoires, quelles failles, quelles amours peuvent mener à prendre les voies qu’elles ont choisies…Décidément, Michaela Spiegel interroge les trajectoires individuelles.

C’est dans ce même esprit que Michaela Spiegel aborde les veuves éplorées (et/ou) joyeuses de « For ever ». Sur des médaillons tendus de brocart noir et festonnés de dentelle assortie, une dizaine de veuves d’hommes célèbres offrent une galerie de portraits de femmes qui trouvèrent célébrité et richesse grâce à la vie, puis à la mort de leur époux.

On retrouve ici une des stratégies récurrentes de l’artiste : l’utilisation de codes populaires, voire kitsch (le format médaillon, la dentelle, le portrait de « people », la mièvrerie des deux prénoms accolés « for ever ») qu’il s’agit de prendre au second, voire au troisième degré, avec distance et ironie.

Dans le même temps, Michaela Spiegel entend mesurer la distance parcourue depuis le temps où, explique-t-elle, en l’absence d’autonomie financière, les femmes n’avaient accès personnellement à l’argent, et à la richesse, qu’en cas de décès de leur mari…cruelle ironie du sort qui rendirent certaines veuves plus joyeuses que la décence ne l’eut toléré.

Mais près de soixante ans après le livre choc du Castor, la vision des rapports homme femme, et la visibilité de la sexualité se sont profondément transformées et du deuxième sexe beauvoirien, que la philosophe avait failli titrer « L’Autre », on est passé au deuxième sexe… et les autres… transgenre, multiples, « queer », au refus de l’identité sclérosante ou au risque de se perdre, à l’image de ces « catastrophes sexuelles » qui, de Lolo Ferrari à Michael Jackson -risibles autant que pathétiques- interroge sur les notions de norme, de normalité, de normativité du comportement.
 
Puis, des objets-installations opèrent d’efficaces contrepoints aux œuvres peintes et dévoilent d’autres facettes du travail de l’artiste.

Ici, des assiettes délicatement calligraphiées « anno..rex..ie » jouent du même détournement du kitsch au profit d’un déploiement signifiant. Ces assiettes décorées à la manière de quelque souvenir pittoresque, comme on en accroche parfois sur les murs, mais peintes d’images de femmes anorexiques créent des connexions pour le moins ambiguës.

Ces assiettes presque pop au fond desquelles on ne trouve nulle nourriture mais une morbide maigreur imposent un raccourci visuel grinçant sur le rapport aujourd’hui de la femme à son image, à celle qu’elle désire renvoyer aux autres, de la dysmorphie et du poids de la société sur cette image, comme ailleurs ce tout petit « estomac de dame », présenté comme un bijou dans son écrin ou perdu dans un grand flacon. Une manière de rendre visible les dessous d’un discours où le social, l’historico-politique et le sexuel se mêlent dans des présupposés aux relents totalitaristes que Michalea Spiegel entend pointer.

Là, dans ce foisonnement joyeux et intense, visuel, sonore, tactile, on trouve aussi des objets divers, des couronnes de premier bal à Vienne, des boites à musique à la ritournelle désuète et lancinante, d’étranges boules à neige que l’on croirait au formol, chaque fois gangue d’ironie et de jeux d’esprit sur tout ce que la féminité charrie de mythes à sabrer, à l’image de cette cage – « cage-mère » ou « mär » capitaliste, jeu de mots ironique entre mère et conte de fée -, une jolie cage dorée mais aux pointes acérées, ébranlant l’immémoriale évidence d’une féminité nécessairement maternante.

Ici encore, un fascinant work in progress prend la forme d’un abécédaire, lexique, bréviaire, ou dictionnaire comme on voudra, une sorte de manuel fou à plusieurs entrées « à l’usage du savoir bien parler en société » que n’aurait renié Madame de Rothschild, dans lequel sont consignés tous les grands thèmes et termes personnages importants de l’Institut : que veulent-ils dirent ? Comment en parler ?

On retrouve ici le travail de dynamique image-mot auquel se livre Michaela Spiegel depuis toujours dans un double axe sémantique: d’une part une réflexion autour de l’interaction, les tensions entre les mots et l’image -images samplées, volées au magma médiatique -, dans des « cross over » inopinés, des « sauts » visuels et sémantiques ; et d’autre part une attention particulière à la signifiance intrinsèque du jeu de mots comme jeu « d’esprit » pour reprendre la terminologie freudienne.

Tout y passe, de Jacky Kennedy à Mercedes de Acosta, de Leni Riefenstahl à la ménopause, dans un faux esprit de sérieux et une réelle dérision parfois proche de dada.

Tout, dans l’œuvre vive et intelligente de Michaela Spiegel, excite les sens et l’esprit. Exigeante et sans complaisance, elle sollicite notre propre vivacité et un esprit critique alerte qui nulle part ne trouve le repos.

*L’ »Institut für Heil & Sonderpädagogik » a été fondé en 1995 sur l’initiative de l’artiste, et fonctionne comme un module à la fois informel et « institutionnel » de création.

Michaela Spiegel explique : « depuis 1995 je travaille sur ce titre de “Institut für Heil & Sonderpädagogik”: j’avais découvert une plaque sur un des bâtiments de la grande clinique de Vienne, juste avant les travaux sur les bâtiments. “Heil & Sonderpädagogik” pourrait se traduire comme “pédagogie spécialisée dans la guérison des enfants perturbés”, sauf que dans mon jeu de mots je ne mets pas le – après “heil”, qui est donc autrement associé…
Par suite, j’ai décidé d’utiliser ces termes pour le titre de mon exposition cette année-là. L’exposition démontrait les nationalismes cachés dans la langue allemande  d’une autre époque. »

Aujourd’hui l’ »Institut für Heil & Sonderpädagogik » est devenu une sorte de structure de création récurrente, à laquelle se rattache les travaux et recherches de l’artiste.

**A la suite de la publication du « Deuxième sexe », François Mauriac écrit alors aux Temps modernes, revue fondée par Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre en 1943 : « A présent, je sais tout sur le vagin de votre patronne ».

***Fondatrice historique et membre, avec Andreas Baader, du groupe armé terroriste Fraction Armée Rouge dite « Bande à Baader ».

Vernissage
Jeudi 9 octobre 2008. 18h-21h.

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