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Le Corps comme sculpture : Vito Acconci

Au début de sa carrière artistique, l’objet principal des recherches de Vito Acconci est son propre moi. Son corps est un objet d’expérimentation, et le langage moyen de pouvoir sur le corps. Sa façon d’impliquer le spectateur en lui adressant la parole est caractéristique de Vito Acconci. Le musée Rodin expose quatre vidéos représentatives de son travail des années 1970.

Vito Acconci se présente comme un «livre ouvert» dans la vidéo Open Book (1974) où il filme en gros plan sa bouche grande ouverte. Le corps du texte est remplacé littéralement par le corps de l’artiste.
Tout au long de la performance nous ne voyons qu’une bouche, l’organe de la voix et du langage. Vito Acconci prononce les phrases suivantes: «I’m not closed, I’m open. Come in… You can do anything with me… I won’t stop you. I can’t close you off. I won’t close you in, I won’t trap you. It’s not a trap». Il s’oblige à parler sans refermer la bouche, au risque de rendre ses mots incompréhensibles.
Et quand sa bouche se referme accidentellement, il s’excuse: «That was a mistake. I won’t close… I’m open to everything…»
Ses mots qui invitent à se rapprocher à lui, à entrer en lui désignent une sorte d’ouverture métaphorique à l’autre. Mais cette ouverture et cette invitation à pénétrer dans son intimité sont assez ambiguës, d’autant plus que les phrases ne sont pas clairement audibles, et que la bouche grande ouverte semble grotesque.

Dans ses performances vidéos, Vito Acconci invite souvent le spectateur ironiquement à le rejoindre. Mais est-ce vraiment possible? Comment rejoindre quelqu’un qui est à l’écran? Cette sorte d’intimité qu’il tente d’instaurer en s’adressant au public avec des «Tu» et des «Nous» est illusoire.

Dans la vidéo Rubbings (Frottements, 1970), Vito Acconci est nu, allongé par terre, en train de se frotter le ventre où un cafard essaie de s’échapper avant d’être écrasé.
Puis il prend un deuxième cafard et poursuit ses mouvements circulaires comme pour le faire pénétrer dans sa peau, et ainsi de suite. Le plan se rapproche pour se focaliser sur le ventre, puis sur le nombril.
«Pour prendre le dessus sur le cafard, le tuer, commente Vito Acconci, je dois lui laisser prendre le dessus sur moi, le cafard entre dans ma peau», décrivant ainsi un processus qui se situe métaphoriquement entre le physique et le mental, l’ingurgitation et la digestion.

La vidéo See Through (1970) montre le reflet du buste de Vito Acconci dans un miroir. Dans la position d’un boxeur, tête légèrement rabaissée, il met des coups de poings à son reflet jusqu’à briser le miroir.
La référence au stade de miroir défini par Lacan illustre la distanciation constitutive du sujet dans sa différenciation d’avec l’Autre. Or, ici c’est un homme qui lutte avec lui-même, avec son identité, comme pour détruire son image. Est-ce pour se reconstruire en raison d’une insatisfaction de ce qu’il est? Ou bien, est-ce qu’il voit l’Autre en lui qui le terrifie? Enfin, peut-il vivre sans l’Autre?

L’idée du refoulement de l’image de soi apparaît également dans la première partie de la vidéo Three Relationship Studies (Etude sur trois types de rapports, 1970).
Dans Shadow-Play (Simulacres) Vito Acconci est habillé en noir, dos à la caméra et face au mur blanc où se projette son ombre noire. Il bouge devant le mur, saute comme un boxeur se battant avec son ombre. Lutte avec sa face obscure, avec son «éternel antagoniste» (Carl G. Jung parlant de l’Ombre) caché dans les profondeurs de notre inconscient.

Dans la deuxième partie: Imitations, un homme (Bob Viscusi) à gauche de l’écran est assis sur une chaise, près d’une deuxième chaise vide. Il parle face à la caméra, s’adresse au public, mais le film est muet. Derrière lui, son ombre portée se reflète à droite et à gauche, multiple. Bob Viscusi allume une cigarette et poursuit son discours inaudible. Vito Acconci, habillé de noir, entre dans le cadre, s’assoit et allume aussi une cigarette, imitant les gesticulations de Bob Viscusi, devenant son reflet, multipliant les ombres.

La troisième partie, Manipulations: une femme (Kathy Dillon) et Vito Acconci sont face à face, nus. Mais elle est face à la caméra et lui face au miroir à côté d’elle, ce qui donne l’impression qu’ils sont alignés devant la caméra. Il commence à agiter ses bras comme s’il caressait son corps, et elle répète ses mouvements en se touchant, comme hypnotisée, manipulée, docile devant lui qui lui dicte ses actes. Elle se touche là où il place ses mains, elle se touche pour lui. Elle se laisse modeler sur son fantasme riche d’ambiguïtés.

Symboliquement fortes, aux résonances multiples (psychologiques, sociales, politiques, etc.), les performances de Vito Acconci engagent une réflexion sur la conscience, le corps, les faiblesses de la société et l’exercice du pouvoir, qui n’est pas seulement extérieur, mais intérieur à soi.

Liste des œuvres
Vito Acconci, Open Book, 1974. Vidéo.
— Vito Acconci, Rubbings, 1970. Vidéo.
— Vito Acconci, See Through, 1970. Vidéo
— Vito Acconci, Three Relationship Studies, 1970. Vidéo.