ART | CRITIQUE

Le Camp

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@10 Mai 2010

Dans le nouvel espace non rénové de Jousse Entreprise, Ariane Michel monte le camp avec une installation vidéo enveloppante, qui nous plonge dans une nature hostile et brute. Entre fiction et documentaire, elle nous emmène dans son voyage aux confins du monde habité.

La galerie Jousse Entreprise déménage. Elle quitte la rue Louise Weiss pour s’installer rue Saint-Claude dans le Marais. Ariane Michel investit le nouvel espace le temps d’un projet «avant travaux», dans une atmosphère de chantier.
Pour montrer sa vidéo Le Camp, elle file la métaphore du campement: chaises pliantes à fleurs et tables de camping sont les hôtes qui accueillent les spectateurs et les amènent, en transition douce, à s’immerger dans l’univers de l’artiste.

Une première Å“uvre intitulée Ici est une projection de cartes postales en couleur des années 50 qu’Ariane Michel a trouvées sur des marchés aux puces, et qu’elle synchronise avec des bruits de rivières et d’oiseaux. Comme dans une salle de relaxation, il s’agirait de mettre en condition le spectateur avant la suite.
Les images évoquent le voyage, mais un voyage «ici», au plus près, dans des paysages familiers. La projection dessine un parcours de la montagne vers la côte: comme l’eau, un des lieux communs de la carte postale de vacance, nous descendons. Mais cette descente est aussi empreinte de nostalgie. Il n’y aura pas de retour à ce voyage, qui nous promène à travers des paysages presque vierges, appartenant au passé. Sur ces cartes postales à la fois poignantes et naïves, la nature est célébrée telle quelle, donnée dans ses couleurs brutes et sans retouche, avec une simplicité aujourd’hui perdue.

Tournée alors qu’Ariane Michel accompagnait une mission scientifique, l’installation Le Camp, composée de trois vidéos simultanées projetées sur des écrans placés côte à côte, relate une expérience cauchemardesque.
Au milieu d’une plaine désertique, quelques hommes emmitouflés se serrent les uns contre les autres et font le dos rond contre l’attaque des moustiques. L’air vibre de milliers d’insectes qui se jettent sur tout ce qu’ils trouvent, homme ou animal, mort ou vif.

Sur l’écran central, dans un gros plan obscène, Ariane Michel filme un morceau de viande découpé par un autochtone dans la tempête de moustiques. Ceux-ci attaquent l’homme comme la viande, s’agglutinent, s’immiscent au cœur même de la chair.
Toute vie semble pourrir au milieu de cette nature devenue folle. On regarde ce drame prendre place, enveloppé par les trois bandes sons conjuguées, le souffle coupé par la beauté d’un paysage non identifié, presque irréel, où règne l’animal.

C’est la présence des bêtes, qu’elle soit amie ou menaçante, voire qu’elle nous renvoie à nous-mêmes comme dans le film Les Hommes (2006), qui construit la matière brute du travail vidéo d’Ariane Michel.
Avec des moyens très simples, la vidéaste revisite le documentaire animalier pour en faire une forme sensible et enveloppante, qui ressemble à s’y méprendre à de la science-fiction.

— Ariane Michel, Ici, 2005. Projection.
— Ariane Michel, Le Camp, 2009. Trois projections vidéo HD sonores, et installation.

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