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Laurence Bossé et Hans Ulrich Obrist

Tous deux commissaires au Musée d’Art moderne de la ville de Paris, Laurence Bossé et Hans Ulrich Obrist s’expriment sur leur rôle de «catalyseur», de «commis d’artistes». Qui exposer et comment valoriser les jeunes artistes émergents en France? Des choix non évidents...

Interview
Par Aude de Bourbon

Qu’est-ce qui vous attire dans le métier de commissaire?
Laurence Bossé. La programmation, la conception et l’organisation d’expositions est l’activité majeure et la plus passionnante qui m’est impartie au musée à côtés d’autres telles que l’enrichissement des collections ou relevant de l’administration. L’exposition est le fruit d’une délicate alchimie entre l’artiste, le commissaire et le public. Sa mise en place s’avère un moment privilégié pour pénétrer et comprendre l’œuvre et la démarche des artistes et s’appuie sur une nécessaire complicité entre artiste et commissaire. C’est naturellement une excellente occasion pour faire des propositions d’acquisitions qui iront enrichir la collection du musée.
Hans Ulrich Obrist. L’exposition suscite une réelle fascination car c’est une constellation éphémère qui, comme le dit Dominique Gonzalez-Foerster, ouvre des possibilités pour des expériences extraordinaires, un des espaces où dans notre société des expérimentations restent possibles et nécessaires.

Plutôt que commissaire, vous avez préféré reprendre l’expression de Suzanne Pagé, «commis d’artiste» offrant la possibilité de produire et d’exposer dans les meilleures conditions. Au contraire d’autres commissaires perçoivent leur rôle comme celui d’un auteur.
H-U.O. Je suis d’accord avec la définition de catalyseur. Le commissaire dialogue énormément avec l’artiste et de ce dialogue naît l’exposition. L’art d’exposer est un des grands fils rouges du XXème siècle. De Marcel Duchamp à Richard Hamilton, des artistes ont créé des dispositifs spécifiques. Et souvent l’exposition devient l’œuvre. Par rapport à cela, le rôle du commissaire est d’être un déclencheur, un organisateur aussi. Un autre aspect important : nous ne pouvons guère comprendre les forces qui sont effectives dans les arts visuels si nous ne regardons pas les autres champs de savoir. Il s’agit donc souvent de jeter des ponts. Quand Steve McQueen a fait son exposition, il a fallu créer un lien avec la NASA ; dans le cadre de l’exposition de Philippe Parreno, Alien Season, le musée a établi le contact avec Jaron Lanier que Parreno voulait rencontrer depuis longtemps. Dans le cadre de Rirkrit Tiravanija, Tomorrow is another fine day, ce fut avec Bruce Sterling, auteur de science-fiction. Pour l’exposition de Olafur Eliasson, l’artiste a choisi de travailler avec le scientifique Luc Steels et l’urbaniste Yona Friedman. Dans les expositions collectives, le rôle du commissaire est évidemment différent mais l’implications des artistes est aussi importante.

Pourtant, un commissaire va choisir une thématique d’exposition collective ou va décider de présenter tel artiste en fonction d’une actualité ou de ses propres centres d’intérêt. Il devient alors créateur d’expositions, et la mise en espace des œuvres révélera ses opinions.
L.B. Il existe effectivement une certaine différence entre l’élaboration d’une exposition monographique et celle d’une exposition collective. Dans le premier cas ; l’artiste aujourd’hui est dès le départ impliqué dans l’invention du concept de l’exposition à travers un dialogue permanent avec le commissaire articulant un choix d’œuvres prenant en compte le contexte du lieu, et l’état de sa démarche.
Dans le deuxième cas le ou les commissaires sont amenés à définir une thématique ou plus généralement un «fil rouge» pertinent qui permette de mettre en évidence les questions, le domaine de réflexion sous-jacents à des productions artistiques multiples.
H-U.O. Dans le cas d’une monographie, l’artiste pense l’exposition comme un médium et comme une œuvre. Ainsi Anri Sala a collaboré avec des experts en technologie digitale pour créer une certaine atmosphère lumineuse dans l’espace, entre chien et loup, pendant toute la journée.

En abordant l’exposition, non pas comme un espace de monstration mais comme une œuvre, vous transcendez les travaux exposés.
H-U.O. C’est le grand challenge de toutes les expositions monographiques qui deviennent des expériences extraordinaires prenant tout l’espace. L’espace très chargé d’histoire d’exposition de l’ARC, qui va ré-ouvrir en janvier 2006, poussait les artistes à se surpasser pour dépasser les propositions initiales précédentes. Cette valeur symbolique de l’espace est clef. Il ne s’agit pas de faire une exposition d’un artiste à Paris mais de faire l’exposition la plus marquante de cet artiste pour le temps qui vient.
L.B. Il faut se garder le plus longtemps possible avant l’inauguration de geler une proposition et maintenir une permanente capacité de remis en cause immédiate. Cet état d’incertitude rend ces brefs moments passionnants.

Comment choisissez-vous l’artiste autour duquel vous allez monter une exposition?
H-U.O. Prenons l’exemple de François Roche. Il nous a intéressés en tant qu’architecte européen le plus fascinant de sa génération. Il est déjà très connu des spécialistes, mais pas encore du grand public. Timing is everything. Une exposition monographique doit arriver au moment juste.
L.B. Le choix des artistes s’inscrit aussi dans le temps. C’est par une attention permanente à l’évolution d’un travail que s’impose à un moment donné, au commissaire, la nécessité de le présenter, la production artistique ne répondant pas à un principe de linéarité.

Pourquoi avoir choisi de présenter des projets non réalisés d’un architecte, François Roche, et de quelle manière avez-vous mis en place cette exposition?
H-U.O. Nous avons cette conviction que, si nous voulons comprendre ce qui se passe dans l’art moderne et contemporain, il est nécessaire de regarder ce qui se passe dans les autres disciplines. La pratique de François Roche est fascinante et il y a beaucoup de liens avec les artistes comme P. Parreno, P. Huyghe, X. Veilhan et d’autres. Il y a deux-trois ans, nous avons commencé un dialogue avec lui. Nous avions déjà travaillé avec lui, notamment sur l’exposition de Philippe Parreno et aussi à l’occasion de l’exposition «L’hiver de l’Amour». Nous avons longuement réfléchi sur les moyens de faire une exposition qui ne se réduise pas à une exposition de maquette d’architecture. Peu à peu, il a commencé à développer cette logique d’un parcours complètement nouveau.
L.B. Je dirais que l’exposition François Roche relève plus de l’œuvre inédite que d’un projet non réalisé.

La France se plaint de l’absence de visibilité des artistes français sur le territoire et à l’étranger. Le MoMa de New York et la Tate Modern de Londres, par exemple, n’exposent l’un et l’autre que deux artistes français vivants. Afin de répondre à cette situation, la presse française a-t-elle fait écho à votre initiative de présenter de jeunes artistes de l’hexagone lors de l’exposition «I Still Believe in Miracle»?
H-U.O. Pour l’exposition «I Still Believe in Miracle», Angeline Scherf, Anne Dressen, Laurence et moi avons visité des dizaines d’ateliers pendant plus d’un an pour découvrir ce qui intéressait la génération d’après 2000. L’ARC alterne entre la nécessité d’être une plate-forme pour les jeunes générations émergentes et celle d’approfondir une pratique plus confirmée dans une exposition monographique. De Angelika Markul à Benoît Broisat à Tixador/Poincheval, nous avons trouvé en France une nouvelle génération d’artistes formidables.
Pour répondre à votre question sur la presse, je constate qu’une vaste couverture médiatique à Avignon a permis de traiter de façon assez systématique à peu près l’intégralité de la surface du Festival, ce qui est formidable. Ce qui me frappe en revanche, c’est que le monde de l’art contemporain en France n’a pas droit à cette couverture…. C’est d’autant plus frappant en ce moment que, plus que jamais, le monde du cinéma, du théâtre, de la musique s’intéresse à l’art contemporain et fait appel à des artistes contemporains. Dans la plupart de l’Europe, l’art contemporain a autant d’espace médiatique que les festivals de théâtre, de cinéma ou de musique. En 2005 en France, les artistes contemporains sont souvent privés de cette plate-forme. Pourtant, de nouvelles générations d’artistes passionnants sont en train d’émerger mais n’ont pas la même visibilité auprès du grand public que les artistes dans la plupart des autres pays européens aujourd’hui.

Quelle est à votre avis la raison de cette sorte d’indifférence?
H.U.O. Je ne sais pas, le cinéma, le théâtre ou la musique semblent prioritaires.
L.B. Il y en a certainement plusieurs… de l’ordre de l’économie, de l’éducation, d’une conjoncture morose, et peut-être d’une remise en cause identitaire plus profonde.

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