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L’Atlas (Art urbain)

L’Atlas a pour but de créer une écriture universelle sur les trottoirs et les panneaux d’affichages des villes. Ce calligraphe du macadam arpente les villes pour poser son nom, ses boussoles et ses labyrinthes, à l’aide d’affiches ou de scotch. En entremetteur discret, il propose aux piétons des indications giratoires.

Interview
Par Pierre-Évariste Douaire

Paris-art.com ouvre ses colonnes à une longue série d’interviews consacrée aux artistes urbains. La succession des portraits permettra de découvrir les visages et les pratiques de ces artistes qui transforment la ville en galerie à ciel ouvert.

L’Atlas s’attaque aux affiches en l’an 2000 après avoir passé beaucoup de temps à taguer. Le passage de la bombe au papier, lui ouvre la voie à de nouvelles techniques, à de nouvelles possibilités. Il ne renonce pas pour autant au lettrage et s’exerce avec la même constance à écrire son nom. La projection de peinture est désormais remplacée par des incrustations de gapheur dans le bitume des trottoirs, ou par la pose d’affiches de même dimension que les panneaux publicitaires. L’action et la méditation sont les deux hémisphères qui balisent son travail.

Pierre-Évariste Douaire. Comment te définir : ex-tagueur, calligraphe ?
L’Atlas. Ni ex-tagueur, parce que je tague encore, ni calligraphe, parce que je ne me sens pas calligraphe. C’est un mélange des deux. Je me suis inspiré du calme de la calligraphie, mais je l’ai mélangée avec des techniques contemporaines, le graffiti, la géométrie, la vidéo. L’idée de mon travail est de créer une écriture universelle. Je déforme des phonèmes à l’aide de formes géométriques, comme le carré ou le cercle, pour arriver à un idéogramme. Les phonèmes ce sont les lettres des alphabets latins et arabes (occidentaux ou orientaux), les idéogrammes sont chinois ou japonais par exemple (extrême orientaux). Je veux, par ce travail, être à la frontière de la représentation. Je veux me situer entre l’écriture et le dessin. J’utilise ensuite ce nouveau langage dans la rue. C’est un espéranto pictural que j’adresse aux regards de la ville.

Hassan Massoudi, calligraphe Irakien, parle de souffle et de paix intérieur, comment envisages-tu ta pratique, une méditation ou une sédition urbaine ?
Il n’y a pas que les calligraphes qui sont concernés, toute personne qui peint sait qu’il doit souffler et respirer.

La calligraphie arabe est d’abord coranique, c’est une pratique méditative.
Je me place plus comme un intermédiaire d’énergies. Je suis un intermédiaire avec les gens. Je transmets aussi des traditions, des mémoires. Mais je ne suis pas simplement un passeur, car j’interviens sur cette tradition calligraphique. Je fais avancer cette écriture, je fais avancer cet art. Je donne ma vision du monde. Si j’y arrive un jour, j’aimerais communiquer une écriture universelle. J’aimerais faire ce lien entre l’orient et l’occident, entre l’écriture et le dessin, entre le conscient et l’inconscient.

La calligraphie, par sa sagesse, pourrait s’opposer à l’action de rue plus contestataire ?
En exagérant un peu, on pourrait dire que la calligraphie est la représentation de la paix, et que l’action de rue est le livre de la guerre. Les boussoles que je pose sur le trottoir marquent des temps d’arrêts. Elles sont blanches comme la couleur de la paix, elles caractérisent des moments où tu t’arrêtes dans la vie, où tu regardes les choses, où tu t’interroges. A l’inverse, il y a l’action directe ou tu t’appropries l’espace public. Tu instaures un langage qui s’adresse aux gens, avec mes boussoles je m’adresse aux piétons. Je mets en scène trois personnages : la ville, l’homme et la lettre. La boussole marque l’arrêt, mais elle est aussi le trait d’union entre l’homme et la ville.

L’apostrophe de L’Atlas est pour moi un trait d’union, parle-moi de ton nom.
Atlas était d’abord mon nom de tagueur quand j’étais adolescent. A l’époque déjà, je prenais ce nom comme de la calligraphie. A la différence du graph’, le tag reste dans la tradition du geste, ce trait unique que tu ne retouches pas. J’ai choisi le mot Atlas car il est utilisé dans toutes les langues et il a la même signification partout. En étudiant l’histoire des écritures, j’ai découvert que dans la mythologie du Proche-Orient, et plus précisément celle des Canaan, 3000 ans avant JC, il existait déjà un Atlas. Les grecs le reprendront et lui feront porter le monde par châtiment. Le premier Atlas portait le monde sans savoir ce qu’il portait, c’était une excroissance de lui-même. Ensuite j’ai rajouté L’atlas, car dans cette tradition le L apostrophe est le dieu de la création.

Tes influences mythologiques, calligraphiques, archéologiques sont arabes.
Depuis quelques années ce que je présente est proche-oriental, mais il ne faudrait pas limiter mon travail à cette seule influence. Ce que je prépare actuellement est plus dans une veine extrême-orientale, l’Asie sera très présente, avec notamment l’utilisation du rouge. A l’école j’ai toujours étudié les langues — le russe, le portugais, l’espagnol, l’anglais, l’arabe — mais toujours dans un soucis d’apprendre les origines d’une langue, d’une écriture.

Tu utilises dans ton lettrage des normes arabes également. Les codes sont toujours transgressables, ils me servent de base. Que ce soit en peinture chinoise ou en calligraphie arabe, les proportions théoriques sont toujours un quart de noir et trois quart de blanc. Le résultat peut s’en éloigner, ou même être contraire, les proportions peuvent s’inverser, comme quand je fais un travail en négatif. Il n’y a pas une règle immuable, c’est comme le chiffre 7 que tu retrouves dans la calligraphie arabe, il est présent partout, mais tu peux t’en éloigner.

Quand as-tu commencé les boussoles ?
J’ai commencé en l’an 2000. Les boussoles sont réalisées à partir de mon nom et traduite dans un alphabet arabe. J’utilise du gapheur, c’est du scotch de cinéma épais de 50 ou 100 mm, pendant l’été. Dans les grosses chaleurs d’août il a tendance à fondre dans le sol mou. Posé en fin de matinée il s’incruste dans le macadam l’après-midi sous le poids des passants. Les boussoles sont des signalétiques piétonnes, ce sont des résistances à l’urbanisme et aux villes modernes. Dans ces sociétés, le corps est oublié, tout est destiné à la voiture. L’universalité est présente aussi, car les quatre points cardinaux sont les mêmes dans toutes les villes. C’est une réalisation pérenne à l’inverse des peintures sur stores, qui ont toutes été détruites par les autorités. Il n’y a pas encore de loi sur les sols, c’est un interstice juridique dans lequel je me glisse. Les affiches sont un autre interstice.

Pourquoi s’adresser aux piétons ? Je voulais arrêter le piéton pour qu’il regarde la forme de la boussole et qu’il réfléchisse à son sens. Mettre des boussoles sur le trottoir c’est faire de l’art utile. Prise entre le dessin et l’écriture elle veut donner du sens au piéton. Grâce à elle il peut s’orienter dans la ville, mais il peut aussi essayer d’y trouver un autre sens. Elle est subversive dans le sens où elle transforme un langage déjà existant.

Tes labyrinthes fonctionnent sur le même principe que tes boussoles ?
Mon labyrinthe est directement inspiré de la ville. Le plan des villes arabes ressemblent à un labyrinthe. Les dessins, que je fais sur papier millimétré, sont inspirés de ces plans de ville vu du dessus. La bastide du 13me siècle est aussi un modèle que j’utilise. Ces deux exemples symbolisent la Ville, et à ce dédale j’aime opposer ma boussole. D’un côté je dis aux piétons, vous êtes dans un labyrinthe, et d’un autre je leur dis comment s’orienter dans ce méandre avec mes boussoles. C’est pour cette raison que je viens de créer une boussole-labyrinthique qui réunit ces deux concepts.

Le Land Art s’intéresse beaucoup au plan du labyrinthe.
J’ai toujours regardé les bouquins du Land Art, mais le travail de ces artistes ne concerne pas tellement la ville. Si je faisais quelque chose dans la campagne, ça n’aurait pas beaucoup de sens non plus, cela aurait aussi moins de force.

Tu es passé du tag à d’autres pratiques à cause du nettoyage systématique des graffitis.
Pour moi ça été une catastrophe, car les stores c’étaient des bibles, tu pouvais y voir les passages successifs des mecs qui étaient passés depuis les années 1980, c’est d’ailleurs à eux que je m’orientais dans la ville, grâce à la mémoire visuelle de leur emplacement. Face à cette répression, il a fallu trouver des techniques qui résistent au karcher. Cela a donné naissance à des interventions à l’acide, au scotch, à la soudure… Toutes ces contraintes m’ont poussé à concentrer mon énergie dans d’autres directions. En 2000 j’ai eu des problèmes avec la justice, à cause de mes tags, c’est l’époque ou je rencontre Tom Tom et que je commence à faire des détournements, des découpages d’affiches avec lui. C’est cette même année où j’ai commencé à faire mes boussoles. Avec le recul on peut dire que leur présence tente de témoigner de cette absence brutale. En l’an 2001, après ma rencontre avec Jean Faucheur, j’ai commencé à travailler dans son atelier. Au final ça a été un facteur bénéfique pour mon travail. La répression d’état est pour moi un moteur de créativité, tout comme les codes en calligraphie.

Quel regard portes-tu sur la scène graffiti d’aujourd’hui ?
J’ai beaucoup de réserves avec le graffiti en ce moment car je pense que c’est une impasse. Les mecs qui s’attaquent aux trains font ce que le gouvernement attendent d’eux. Ils vont avoir des galères toute leur vie… En plus, les trains peints ne circulent plus. Le reproche que l’on peut faire au graffiti, c’est que même si on peut trouver du sens politique ou poétique dans l’action, il y a d’un autre côté, une absence de formulation de pensée. Répéter son nom conduit à l’isolement. D’ailleurs je n’ai pas réussi à écrire autre chose…

Tu as participé au projet de Jean Faucheur Implosion-Explosion.
Le projet de Jean Faucheur consistait à donner aux passants des peintures. J’aurais eu du mal à le faire spontanément, c’était trop généreux. J’ai commencé par filmer Jean en train de poser ses affiches. Puis j’ai réaliser mes deux premières affiches — une boussole et un labyrinthe — qui représentaient l’implosion et l’explosion. Ça a été l’aboutissement de tout un cheminement. Ç’était la première fois que je travaillais d’abord en atelier et ensuite dans la rue. Je devais d’abord penser le concept pour ensuite aller coller le résultat sur les panneaux.
Cela permettait de plus dévoiler son monde intérieur. Avec Jean je faisais ça et avec Tom Tom je faisais des découpages. Chacun amenait sa technique, Jean me faisait découvrir le kraft, Tom Tom le découpage, et moi j’amenais le schéma de l’invasion, cette stratégie héritée du graffiti.

Ensuite vous avez décidé de faire « Une nuit ».
L’idée c’était de faire une galerie à ciel ouvert, de barrer la route à la publicité pendant une semaine. C’était l’envie de prendre d’assaut un arrondissement. On mettait dans la rue des peintures de quatre mètres sur trois. Tout avait été fait à la main, c’était très généreux de mettre ça à la disposition du public. J’avais du mal à lâcher ces travaux. Il y a eut deux nuits en 2002 et en 2003.

La pratique est plus pro-peinture que anti-pub.
Je garde en moi le côté subversif, le côté anti-pub, il est implicite. Je suis pas pour le capitalisme, mais en même temps je suis pas pour mettre un mot d’ordre dans ce que je fais. Si je repasse tout au blanc c’est pour faire quelque chose d’autre, c’est pour peindre un nouveau départ. Avec le blanc, le message mercantile est nié, à partir de là tu peux créer une nouvelle base d’échange. Par ces actions on propose un discours décalé. On est ni pro, ni anti, on propose autre chose. Si tu es frontalement contre, la lutte devient trop inégale, et tu te trouves encore dans cette impasse.

Quel est ton rapport à la photographie ?
La photo est devenue très importante en 2000, car ce que je faisais à l’époque était beaucoup plus éphémère qu’avant. Dans la rue tout s’effaçait, la répression nous a obligé à changer de techniques et de méthodes. Je filmais et je photographiais tout ce que je faisais, j’ai tout en archive. C’est dans un soucis de mémoire que j’ai fait ça, pour garder ce qui disparaissait.

Tes photos sont souvent en noir et blanc.
Je photographie essentiellement en noir et blanc, pas seulement dans une but graphique, mais surtout dans le soucis de créer des images qui ont l’air d’être d’un autre temps. La photo devient alors une écriture, une écriture des villes telles qu’elles ne le seront plus.

Avec tes photos tu gardes la mémoire des villes ? Je recherche un peu la mémoire des villes et des traditions à travers mes photos comme pouvait le faire Atget. Je tente de capturer tout ça.

Tu exposes tes photos ?
J’ai fait des expos de photos une fois ou deux. Je mets des toiles que j’encadre de scotch et je les relie à des photos. C’est une installation en forme de narration. Je mets en présence la toile et la photo où la toile a été photographiée.

Ton projet, « Les Toiles errantes », est à la fois un travail pictural et photographique.
« Les Toiles errantes » étaient au départ une idée pour faire mon book. Avec un ami photographe j’ai commencé à photographier mes toiles dans la rue. En voyant le résultat je me suis dis qu’il fallait faire ça dans toutes les villes du monde. L’idée finale est d’éditer un atlas géographique. Le projet s’étale sur une vingtaine d’années et sur une centaine de villes. J’ai envie de présenter des instantanés de villes à des moments donnés. Je veux faire voyager mes toiles et les faire vivre.

Les marques du temps sont importantes dans ce projet.
Au fur et à mesure de mes voyages, mes toiles sont de plus en plus éclatées, les marques du temps sont de plus en plus visibles. Le temps apparaît sur les toiles, c’est pour cette raison que j’ai envie de les placer dans des cadres urbains qui disparaissent aussi. Le marquage du temps sur les toiles parle beaucoup aux gens. Le rapport que j’entretiens avec une œuvre d’art est sujet à la détérioration. Dans la rue tu es soumis au passage du temps, tu te fais effacer, repasser. J’utilise les toiles de la même façon. Cette notion de disparition est importante, c’est l’apport du graffiti à l’art contemporain. J’ai sept châssis que je prends dans mes déplacements, le 7 est un chiffre d’or dans la calligraphie arabe, je les utilise comme si je devais taguer, je les place dans les mêmes endroits. Ces actions à l’inverse des boussoles, sont éphémères, presque fugitives, elles restent l’instant d’une photo. J’aime ce souvenir, car j’étais très angoissé quand on effaçait ce que je faisais dans la rue, mais maintenant seul la trace photographique existe et reste. J’arpente les trous de mémoire de la destruction occidentale.

Liens
Le site de L’Atlas

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