DANSE

Last Last

PKatia Feltrin
@11 Déc 2009

Orchestré par Alexandre Roccoli et la styliste Asha Mines, Last, Last est un objet chorégraphique où son, lumière, textile et corps sont censés “sculpter l’espace théâtral”. Baignant au seuil du visible, cette pièce noyée par une bande sonore qui la dessert, trouble par l’indigence apparente ou avérée de son propos.

Loin de l’ascèse chorégraphique de Brice Leroux, récemment présenté au Théâtre de la Ville dans Solo 2, et de ses compositions mathématiques complexes au seuil du visible et de l’invisible, le collectif Last Last fait pâle figure en interrogeant à son tour l’obscurité sur scène.

Superficielle, la bande sonore d’Hendrik Weber est sans surprise. Une musique d’ambiance électronique à des années lumières du puissant concept de György Ligeti, le concerto pour 100 métronomes hypnotique et poétique qui s’épuise dans le noir.

Là, cette bande passante pour défilé de mode (pas très commerciale d’ailleurs), noie toute la poésie qui aurait pu surgir naturellement de l’obscurité et du mouvement des corps glissant dans la confusion visuelle de nos perceptions démontées.

Le collectif Last Last vient de l’univers de la mode et conjugue ici chiffons, enfin voilages à grande échelle et “chorégraphie” — la chorégraphie d’une styliste, Asha Mines, qui peine (involontairement, sans doute) à trouver son équilibre sur des talons aiguilles-échasses malgré le peu de mouvements qu’elle ait à faire…

La pièce commence par des apparitions d’astres ou de globes lumineux. On pense à des visions naïves, à la lune de Méliès, à des photophores, des phares dans la nuit… Les lampions immobiles qui renvoient d’abord à des perceptions éculées, s’animent ensuite, puis s’éteignent, faisant place à une lumière permettant d’assister à l’évolution des corps humains en présence.

On devine les mouvements d’un corps rampant sous un drapé monumental. Il évoque La Feuille d’Emmanuelle Huynh, mais là encore la citation est somme toute involontaire. Le corps enfoui dans le tissu semble chercher son prolongement, sa propagation spatiale dans les hauteurs et l’horizon. Une référence implicite à La vie dans les plis d’Henri Michaux ? Sauf que l’on ne retrouve pas la beauté du rythme de ce texte dans l’écrasante bande sonore qui n’ose rien.

Entre dépli et enveloppement spatial, le corps de l’interprète se développe dans une organicité rampante rendant sensible cette expérience de la tactilité, cette impression du corps goûtant à la nuit et à son étoffe, à l’étoffe de la nuit. On devine, on espère une jouissance dans ce corps fusionnant avec cette épaisseur de matérialité couvrante. Ça rampe, ça se débat sensuellement dans les plis, entre agglutination visuelle et rémanence hallucinatoire.

Pour clore le tout, The Last Last collectif se permet la coquetterie de « l’anti-spectacle» : on rallume les lumières laissant filer la fameuse bande sonore. Les techniciens rangent le décor face à un public consterné et laissé sur sa faim, pas vraiment frustré de ne pouvoir accomplir son rituel du soir : celui d’applaudir les interprètes. Ceux-ci ont filé et ne reviendront pas !

Un « anti-show » ou l’imposture d’un show ? Une ambiguïté plane entre ce qui a été voulu et montré. On s’interroge et l’on pense au performer belge Antoine Defoort qui, dans sa remarquable conférence-performance présentée au Mac-Val le dimanche 6 décembre dernier, intitulée Indigence-élégance, évoque la formule clé de la danse contemporaine contenue toute entière dans le « Hein ? Ah ouais. ». Ce « Ah Ouais » prononcé intérieurement, et dans un second temps, par le spectateur qui finit par se reconnaître dans le spectacle.

Sauf que là nous restons dans le sentiment pur de l’indigence, on ne parvient pas à dépasser le stade du « Hein ? ». Aucun « Ah ouais » en perspective…

— Chorégraphie / performance : Alexandre Roccoli
— Interprètes : Alexandre Roccoli et Asha Mines
— Costumes : Asha Mines
— Scénographie lumières : Séverine Rième
— Musique : Hendrik Weber

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