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L’Art public, un art de vivre la ville

L’art public : notamment pour comprendre comment les stratégies de visibilité publique des commanditaires aboutissent à structurer les espaces des villes…

— Éditeur(s) : Bruxelles, La Lettre volée
— Année : 2001
— Format : 21 x 15 cm
— Illustrations : 20, en noir et blanc
— Pages : 72
— Langue(s) : français
— ISBN : 2-87317-128-6
— Prix : 13,72 €

Art en public ou art public ?
par Christian Ruby

À quelque œuvre que l’on pense, l’art public impose une série de réflexions autour des figures de la communauté. Il nous oblige d’abord à nous interroger sur les stratégies de visibilité publique, élaborées par les commanditaires, aboutissant à structurer les avenues, les places et les ronds-points des villes. Ces stratégies tiennent compte de l’histoire des villes, englobent des changements d’échelle, des angles de perception de l’œuvre ou du monument.

L’art public nous oblige ensuite à interroger l’appréhension des événements évoqués par les œuvres, ainsi que ce que ces dernières favorisent: les rendez-vous autant que la mise en scène de cérémonies au cours desquelles le corps politique tente de rendre son unité spectaculaire dans les lieux publics. La réflexion doit néanmoins faire aussi sa part au non-vu. Avec l’habitude, l’œuvre publique se laisse oublier. De surcroît, au fil des générations, les significations en jeu se perdent. C’est évidemment le ressort de la manière dont l’art public fait de la politique.

Toutefois, si l’analyse se centre plus spécifiquement sur l’art public contemporain — en employant ce dernier adjectif en un sens technique : un art ayant redéfini ses matériaux, ses procédés, ses fonctions, ses limites en perpétuant la mise en cause moderne du primat du monumental, du visuel et du décoratif, et en travaillant désormais sur les relations entre les citoyens —, elle doit entrecroiser des approches plus fines.

Outre la saisie des visibilités, toujours requise (choix esthétiques, orientation des lieux, existence d’un horizon d’attente festif), il lui faut s’interroger sur la requalification potentielle des lieux publics — à l’heure de la déconcentration des États centralisés vers les villes et les régions redessinées par les projets européens ou de la substitution de la symbolique européenne aux symboliques antérieures —, sur les partis pris actuels du renouvellement de la demande de rencontre avec l’art et de la demande de loisirs, sur l’aura publique (ou le rejet) de l’art contemporain, enfin, sur son rapport aux allégories politiques traditionnelles (pionniers ou héros popularisables) ou à la figuration et la théâtralisation du corps politique démocratique.

Comment échapper à de telles questions, alors que de nombreuses œuvres d’art contemporain ont pour particularité de transformer les lieux publics en lieux d’interrogation des responsabilités publiques, ainsi que le font, par exemple, les sérigraphies de Barbara Kruger (Strasbourg, 1994) ou le monument vivant de Jochen Gerz (Biron, 1993-1996), voire les actions en publie de quelques artistes?

Financé sur les lignes budgétaires fragiles des fonds publics (budgets de l’État ou des collectivités locales, par opposition aux fonds privés, aux souscriptions populaires ou au mécénat; c’est là l’origine de l’usage de l’adjectif « public »), offert au public in situ plutôt que dans un musée, placé dans des lieux qui ne sont pas toujours valorisés culturellement, l’art public touche à la cité dans son ensemble et à une manière de faire de la politique.

Il fait entrer l’art dans le champ civique (Ben l’affirme dans une peinture murale à Paris), impulse des réflexions chez des artistes qui prétendent aussi au titre de citoyen, favorise des expériences artistiques et esthétiques dans des espaces qui, à l’instar des œuvres de Marin Kasimir (à Issoudin ou à Saint-Cyr-sur-Loire, Trois toits pour Saché, 1991), ne sont pas seulement à voir mais à investir (espace et temps combinés).

En France, par exemple — puisque beaucoup de nos références y font allusion, sans prétention cependant à circonscrire un « modèle » français universalisable, mais par simple rapport de proximité pour l’auteur de cet ouvrage —, la relance, depuis 1982, de la politique de commande publique a multiplié les installations récentes d’œuvres contemporaines en plein air. Occasion est ainsi donnée à tous les démocrates, bien au-delà du cas régional de la France, de se demander quelle est la signification de cette floraison récente dans l’histoire de l’Europe — nous souhaitons que chaque lecteur regarde autour de chez lui quels exemples il peut associer à notre analyse —, quelle conception de l’art, et du partage entre les arts, quelle conception de la ville et quelles représentations politiques d’elles-mêmes les sociétés européennes s’offrent dans et par l’art public contemporain ?

(Publié avec l’aimable autorisation des Éditions La Lettre volée)