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L’Art en guerre

Fabrice Hergott, Jacqueline Munck, Laurence Bertrand Dorléac
L’Art en guerre

L’exposition présente près de 400 œuvres de plus de 100 artistes en une dizaine de séquences fortes complétées par de nombreux points documentaires inédits. Le catalogue reproduit les œuvres présentées et réunit, sous forme d’abécédaire illustré, 200 essais signés de plus de 140 auteurs internationaux.

« Soixante-dix ans après, les années de la Seconde guerre mondiale sont présentes dans tous les esprits. (…) Comment cela a-t-il été possible? Comment les hommes et les femmes ont-ils vécu? Pourquoi cela s’est-il passé ainsi? Qu’ont-ils fait? Il existe des milliers de livres et de films (…). Il n’y a pourtant jamais eu d’exposition montrant spécifiquement l’art de cette époque, rassemblant des Å“uvres et cherchant à voir ce que les artistes ont réalisé pendant ces années tragiques qui vont de la guerre d’Espagne au commencement de la guerre froide.

L’ambition de cette exposition est de commencer à répondre à cette interrogation. En partant de l’hypothèse que les artistes ont continué à faire de l’art alors que l’humanité s’entretuait et que la terreur régnait. Or, c’est précisément contre cette menace permanente que les hommes et les femmes ont travaillé tant qu’ils ont pu, développant en réponse des Å“uvres qui étaient une façon de ne pas baisser la tête, de ne pas se laisser emporter par la violence de l’histoire et d’une guerre bien plus atroce que tout ce que l’on avait pu prévoir. (…)

La création dans ces temps difficiles fut originale, elle chercha à résister et à contourner la peur. Parce que l’on ne peut pas toujours répondre de front à la violence, à la monumentalité de la guerre et des idéologies, par des œuvres grandiloquentes. On découvre aussi une époque riche, souterraine, pleine de subtilités et de demi-teintes, contre une vision officielle dont l’arrogance ne permettait plus de réplique. Ne rien dire, paraître stupide, avoir l’air et être fou, autant de stratégies devenues des formes de camouflage, de survie et finalement d’action. L’art informel naît par opposition à la terreur de la forme, de l’ordre, de la raison, de tout ce qui est pris en otage, de la prise d’otage elle-même.

Dans les pires situations, sous le poids d’une pensée normative, de la propagande permanente et de la peur physique, les artistes ont su créer une diversité d’alternatives qui nous étonne. Bien avant que le langage ne soit remis en cause, c’est une certaine convention de l’œuvre plastique, de l’image, de l’art que les artistes ont refusée de reproduire. Ce dégoût de l’usage, de la bonne manière contribuera aux révolutions de l’art actuel.(…) Face à tout discours dominant, à toute « terreur », il existe une alternative. » (Fabrice Hergott, extrait de l’Avant-propos)

L’Exposition internationale du Surréalisme de janvier 1938 apparaît comme prémonitoire au moment de la montée des périls, avant même les accords de Munich. Certains de ses exposants seront bientôt arrêtés alors que les autres tenteront de s’exiler sans que ce soit toujours possible.

Après la drôle de guerre et la défaite de la France, avec l’Occupation nazie et l’instauration du régime de Vichy, jusque dans les nombreux camps d’internement et les prisons en France, on crée encore: des Å“uvres de survie traduisent l’énergie désespérée d’artistes qui adaptent leur processus de création et leurs matériaux – cire, ficelle, pierre, papier à musique ou d’emballage, etc.

Les artistes sont condamnés à s’adapter aux nouvelles réalités des années noires et, pour certains d’entre eux, à la clandestinité dans les refuges: à Marseille, Grasse, Sanary ou Dieulefit. Dans la partie la plus visible de la scène parisienne, dominent les maîtres référents, Matisse, Picasso, Bonnard, Rouault, et les «jeunes peintres de tradition française» qui s’en réclament.

L’ouverture partielle du Musée national d’art moderne, en 1942, au Palais de Tokyo, permet de saisir le goût timoré de l’époque expurgée de ses «indésirables»: juifs, étrangers, anticonformistes, etc.

Par contraste, la galerie Jeanne Bucher est l’une des rares exceptions à présenter (sans publicité) des pièces d’artistes jugés «dégénérés» par la propagande totalitaire en Allemagne mais aussi en France.

Quant à Picasso, l’audace est intacte: interdit d’exposition et reclus dans son atelier des Grands-Augustins, il multiplie les chefs-d’œuvre: L’Aubade, le Grand nu, les Têtes de mort, les dessins érotiques, Tête de taureau ou sa pièce de théâtre Le désir attrapé par la queue.

 Entre 1944 et 1947, les œuvres de l’après-guerre répondent à la violence faite aux corps et aux esprits depuis des années. Cette partie de l’exposition questionne la redéfinition des grands mouvements modernes, les uns assurent la «Reconstruction» —autour du Parti communiste français (Fougeron, Herbin, Pignon…) et du renouveau de l’Art sacré—, les autres empruntent une ligne de fuite radicale: tachisme, informel, art brut, lettrisme, récupération de déchets ou d’objets rejetés par la guerre. Tout témoigne de l’irrépressible décompression psychique à l’œuvre comme seule réponse à l’histoire (Atlan, Bissière, Debré, Fautrier, Giacometti, Hartung, Leduc, Masson, Richier, Riopelle, Soulages, Schneider, Tal-Coat…). Le premier vrai scandale après la Libération est déclenché en 1946 par l’exposition Dubuffet à la galerie Drouin: Mirobolus, Macadam et Cie. Hautes Pates, mis en relation avec tout ce qui compte alors en matière d’art «autre» chez les naïfs, les anonymes dans les asiles ou chez tous les «anartistes» (Artaud, Bryen, Chaissac, Corbaz, Duf, Forestier, Hyppolite, Michaux, Miro, Pujolle, Villeglé, Wols…).  

Entre 1944 et 1947, les œuvres de l’après-guerre répondent à la violence faite aux corps et aux esprits depuis des années. Cette partie de l’exposition questionne la redéfinition des grands mouvements modernes, les uns assurent la «Reconstruction» —autour du Parti communiste français et du renouveau de l’Art sacré—, les autres empruntent une ligne de fuite radicale: tachisme, informel, art brut, lettrisme, récupération de déchets ou d’objets rejetés par la guerre.

Tout témoigne de l’irrépressible décompression psychique à l’œuvre comme seule réponse à l’histoire. Le premier vrai scandale après la Libération est déclenché en 1946 par l’exposition Dubuffet à la galerie Drouin: Mirobolus, Macadam et Cie. Hautes Pates, mis en relation avec tout ce qui compte alors en matière d’art «autre» chez les naïfs, les anonymes dans les asiles ou chez tous les «anartistes».

Sommaire
— Avant-propos, Fabrice Hergott
— L’exposition comme lieu de recherche, Laurence Bertrand Dorléac, Jacqueline Munck
— Penser la guerre, Julian Jackson
— Catalogue
— Abécédaire
— Chronologie
— Œuvres exposées
— Bibliographie sélective

 

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