ART | CRITIQUE

Larry Deyab. De la démocratie en Amérique

PMagali Lesauvage
@18 Jan 2008

Sur un mode graphique évoquant l’art de la rue, le peintre américain Larry Deyab dénonce la violence de la société contemporaine, confrontée à la banalisation de la guerre et aux violences morales.

La toile Jenin (2003), peinte à la bombe par Larry Deyab, acquise récemment par le Frac Bretagne, fait directement référence à cette ville de Cisjordanie abritant depuis un demi-siècle un camp de réfugiés palestiniens.
La simplicité et la rapidité du trait épais de la peinture à la bombe évoquent ces graffitis des villes envahies par le désordre civil. Esquissée à la hâte, avec une grande économie de moyens, la figure encagoulée pointe un fusil, développant l’œuvre dans sa largeur, portant le regard vers l’extérieur de la toile, vers une menace silencieuse.
Reality (Bomber Thinking) (2003) en est la version ironiquement métaphysique, où dans cet effrayant système de certitudes surgissent le doute et la mélancolie. Les Death Angels (2003), figures fantomatiques, ombres blanches indéterminées se détachant sur un bleu ciel de paradis, sont ces kamikazes prédits à une mort «angélique».

De ces personnages devenus trop facilement repérables dans le flux d’images médiatiques, Larry Deyab fait le recensement. Originaire de New York, ville électrisée, il s’en est éloigné récemment pour prendre un sain recul sur ses contemporains.

Le peintre aborde ainsi un élément récurrent de notre environnement visuel quotidien, l’érotisation violente de la femme. Clockwork (Snow White) (Rouage (Blanche-Neige), 2006), peinte dans des couleurs criardes, évoque les figures de prostituées de De Kooning, où la peinture, dans un même temps, érotise et défigure le corps.
Consolatory Virgin (Vierge consolatoire, 2007), figure étirée à la Schiele, procède de la même intention, dépersonnalisant le sujet au point de le réduire à un signe, un archétype d’images bien connues, tandis que Democracy in America (2007), qui donne son titre à l’exposition en citant Tocqueville, raille la soi-disant liberté de pensée en soulignant le conditionnement des individus à des stéréotypes.

Trois œuvres, peintes en 2007, de format approximativement carré, fonctionnent à la manière d’un triptyque. Chaque toile représente une sorte de monstre hybride, mi-homme mi-animal. Tribes (Muslims), Tribes (Jews), et Tribes (Christians) représentent chacune un individu issu des trois «tribus» monothéistes : le musulman, le juif et le chrétien y sont figurés avec une grande violence. Leur religion est assimilée à un archaïsme et leur visage prend un aspect tribal, désindividualisé dans la folie collective du groupe auxquels ils appartiennent.

Larry Deyab signe, dans une urgence très expressive, un constat fort et terrible de la solitude de l’humain face à la banalisation de la violence psychique.

Larry Deyab
— Jenin, 2003, peinture à la bombe sur toile. 102 x 254 cm, Collection Frac Bretagne
— Death Angels, 2003, huile sur toile, 56 x 41 cm
— Clockwork (Snow White), 2006, peinture à la bombe sur toile, 60 x 50 cm
— Consolatory Virgin, 2007, peinture à la bombe sur toile, 100 x 100 cm
— Reality (Bomber Thinking), 2003, peinture à la bombe sur toile, 90 x 60 cm
— Democracy in America, 2007, peinture à la bombe sur bois, 70 x 70 cm
— Tribes (Muslims), 2007, peinture à la bombe sur bois, 90 x 70 cm
— Tribes (Jews), 2007, peinture à la bombe sur bois, 90 x 70 cm
— Tribes (Christians), 2007, peinture à la bombe sur bois, 90 x 70 cm

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