ART | EXPO

Laque

05 Juin - 30 Août 2009
Vernissage le 05 Juin 2009

La laque, c’est la petite couche d’enduit qui rend un matériau plus lisse, brillant et lui permet de durer dans le temps. La laque, pour Marc Bauer, c’est le rôle de l’histoire sur le passé, autant  de la grande histoire sur le passé collectif que de la petite sur le passé individuel. La laque c’est donc le film qui nous fait voir le passé depuis le présent et c’est ce qu’interroge Marc Bauer dans cette exposition.

Marc Bauer
Laque

Les dessins de Marc Bauer sont des trous.
Des trous de mémoire, des trous au fond desquels le regard tente de rassembler ce qui s’apparente à des souvenirs fragmentaires où se mêlent de sombres évocations historiques, de troubles souvenirs extirpés du passé personnel et intime de l’artiste, des textes bégayants qui tentent de dresser en pointillés les bribes d’une narration. Les dessins de Marc Bauer sont une archéologie, creusent dans le passé pour faire remonter à la surface du temps les restes froids des tragédies anciennes et les accommoder avec les fêlures du présent.

Dans un entretien publié à l’occasion de sa participation en 2004 à une exposition organisée par le Kunstmuseum de Solothurn, Marc Bauer déclarait :

«J’ai toujours eu l’impression que l’on me mentait et que sous tout ce qui était joli se cachait en fait quelque chose de pourrissant. […] Très souvent, le point de départ de mon travail est la mémoire; que ce soit des souvenirs personnels […] ou des photographies de mon grand-père faites pendant la seconde Guerre Mondiale. Je prends des événements, je les remets en ordre. L’Histoire devient juste une ré-interprétation d’événements qui les inscrit dans une cohérence. C’est un artefact et non quelque chose d’objectif. […] Qu’il s’agisse d’une histoire personnelle ou de l’Histoire, c’est une ré-écriture et ce n’est donc qu’une question de point de vue, tout comme la morale».

Cette déclaration donne quelques indications sur ce qui s’opère dans le travail graphique de l’artiste suisse depuis plusieurs années. Il est en effet question de procéder à d’incessantes fusions entre histoire personnelle, Histoire et éléments de fictions, afin de poser les bases d’une réflexion sur le fond de subjectivité qui sous-tend à la fois la manière dont nous organisons nos souvenirs propres et la façon dont une mémoire collective s’empare d’événements pour élaborer des agencements particuliers qui donnent corps à ce que l’on appelle l’Histoire.

Sur ce point précis, il suffit, par exemple, d’examiner de quelle manière se sont dessinés les contours de ce que l’on a appelé ultérieurement la révolution française. L’historien Eric Hobsbawm l’observe ainsi:

« la révolution française ne fut pas faite ni dirigée par un parti ou mouvement organisé au sens moderne du terme, ni par des hommes essayant de mener à bonne fin un programme systématique. […] Mais sitôt accomplie, elle entra dans la mémoire accumulatrice de l’imprimé. L’irrésistible et renversante concaténation d’événements que vécurent ses acteurs et ses victimes devint une « chose », assortie d’un nom propre : la révolution française.
Tel un énorme rocher informe que d’innombrables gouttes d’eau ont transformé en galet, des millions de mots imprimés transformèrent l’expérience, sur la page imprimée, en « concept » puis, le moment venu, en modèle.
Pourquoi a-t-« elle » éclaté ? Quel objectif visait-« elle » ? Pourquoi a-t-« elle » réussi ou échoué ?
Autant de questions qui devinrent matière à polémique sans fin de la part des amis comme des ennemis : en revanche, nul ne devait jamais vraiment douter de la chose ».

J’utilise volontairement l’exemple de la révolution française car celle-ci intervient précisément à un moment crucial où se dessinent les contours d’un esprit national, qu’elle est concomitante d’une régression de l’hégémonie religieuse, d’un affaiblissement progressif du pouvoir dynastique des grandes familles et des monarchies et, enfin, qu’elle advient au cours d’une période où les langues vernaculaires ont remplacé le latin, prenant leur pleine puissance grâce à l’essor du capitalisme de l’imprimé et du livre.

Or, tous ces thèmes — nationalisme, pouvoir, hérédité, puissance de l’écrit — se rencontrent régulièrement dans les dessins de Marc Bauer, convoquant régulièrement Heidegger, Machiavel, Pasolini ou Sade, mêlés de façon très ambiguë avec une dimension intime à laquelle viennent s’adjoindre des éléments fictionnels, à tel point qu’il est impossible pour le spectateur de faire la part des choses.
Finalement, l’imaginaire du regardeur extrapole, fait naître l’effroi, noue les connexions entre des événements majeurs et tragiques de l’Histoire et ce qui pourrait apparaître comme une somme de « sales petits secrets familiaux » aux relents sordides de maltraitance et de violence encore stagnante dans les plis du temps de l’enfance et de l’adolescence.

Intitulée Laque, l’exposition de Marc Bauer au FRAC Auvergne est le premier projet réalisé par l’artiste dans une institution française et précède l’exposition qui lui sera consacrée par le MAMCO de Genève en octobre 2009.
L’espace du FRAC, dont le sol aura été préalablement recouvert d’une couche de laque noire brillante, accueillera plusieurs dizaines de dessins de petits formats auxquels s’ajouteront trois dessins de grandes dimensions et une impression murale monumentale. Axée sur l’idée de guerre et de destruction, prenant successivement appui sur les considérations sur le pouvoir développées par Machiavel dans Le Prince, sur les réflexions de Martin Heidegger développées au printemps 1945 sur l’humanité, la bestialité et le nationalisme dans La dévastation et l’attente – Entretien sur le chemin de campagne et sur le film de Pasolini Salo ou les 120 journées de Sodome, Laque pose la question du vernis à la fois protecteur, réfléchissant et déformant qui sépare le passé du présent.

Jean-Charles Vergne
Directeur du FRAC Auvergne

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