ART | EXPO

Laps

15 Fév - 14 Avr 2013
Vernissage le 14 Fév 2013

Latifa Echakhch parvient à transcender, voire à déconstruire efficacement les notions d’identités closes et de zones culturelles, en livrant une œuvre polysémique, généreuse dans ses interprétations et en phase avec un monde en débordements constants, une œuvre entre allusion et référence, mêlant histoire et poésie.

Latifa Echakhch
Laps

Latifa Echakhch a pour habitude de produire des œuvres-installations en lien direct avec l’espace dans lequel elle intervient et où elle mêle des références personnelles, multiculturelles, historiques et sociologiques. L’artiste investit le 1er étage du Mac Lyon, soit près de 1000 m2 et crée une déambulation composant une succession de «paysages personnels», comme autant d’arrêts sur image.

Notons que pour Arjun Appadurai, le «paysage» qu’il nomme tour à tour ethnoscapes, mediascapes, technoscapes, financescapes, deoscapes désigne un paysage complexe issu d’une société multiple aux flux et aux transits incessants qu’il s’agisse de populations, de capitaux, d’identités en permanence reconstruites ou plus largement de poésie.

«Pour Lyon, l’idée générale de l’exposition se développe autour de la scène et de la mémoire, d’un temps suspendu ou révolu.» (Latifa Echakhch)

«Laps», ou le temps suspendu, l’intervalle, l’entre-deux. Pour cette exposition au Mac Lyon, Latifa Echakhch met à nouveau en scène certaines de ses œuvres, souvent par séries, et en produit de nouvelles qui s’inscrivent dans leur continuité et donnent le sentiment d’autant d’instantanés figés entre présent et passé, entre évolution et immuabilité, entre usage et détournement poétique et visuel.

«J’essaie de ne pas tomber dans les clichés ou dans les facilités de sens. La question de l’exotisme ou du post-colonialisme ne m’intéresse pas. Je préfère poser des questions que d’affirmer une opinion de manière frontale ou unilatérale.» (Latifa Echakhch)

Quelques Å“uvres:
— Présentée en 2012 à la Galerie kamel mennour, Mer d’encre est une installation composée de 80 chapeaux melon noirs posés à l’envers, épars sur le sol et curieusement remplis d’encre noire. Des chapeaux répartis selon une cartographie propre à l’artiste évoquant l’absence des corps, l’errance, la mort.

Ces chapeaux renvoient à celui de Magritte, à Chaplin ou encore à l’espion britannique John Steed. Autant de références à l’histoire de l’art et à l’histoire populaire auxquelles s’ajoute une symbolique plus générale liée à la figure du poète, du créateur, dont les encres s’apprêtent à se déverser sur le sol pour y faire jaillir formes et paroles.

— Eivissa (Ibiza) est une installation composée de onze pierres provenant d’un campement construit à Ibiza pour accueillir les tentes des soldats marocains embauchés dans l’armée de rebelles du général Franco pendant la guerre civile espagnole (1936-1939).

Elle reprend une parenthèse de l’histoire espagnole encore un peu floue: les soldats ont été enrôlés plus ou moins de force avec confiscation de leurs papiers d’identité, et ont ensuite été diabolisés par la population.

Ces pierres sont associées à des cartes à jouer espagnoles, utilisées pour un jeu appelé «la Ronda», très populaire en Espagne et au Maroc. Les cartes ont été déposées sur le sol au hasard et les pierres ont été placées par dessus sans souhait de composition particulière.

Comme souvent dans le travail de Latifa Echakhch, l’acte du geste, de l’action est fondamental. En réunissant ces deux éléments appartenant à deux cultures, Eivissa (Ibiza) est une référence claire à l’échange culturel et aux flux de personnes entre l’Espagne et le Maroc.

— En 2007, le Magasin de Grenoble invite Latifa Echakhch à investir la grande rue pour sa première grande exposition personnelle. Elle réalise Dérives, un parcours de lignes noires tracées par des bandes de goudron fin, qui dessinent un chemin réorganisant l’espace, que l’on est libre de suivre ou pas.

Il s’agit de la déclinaison d’un motif ornemental en forme d’étoile, ornement classique des portes ou des murs des mosquées et palais marocains. Un motif, explique l’artiste, reproductible à l’infini et donc touchant au divin et à l’absolu. Mais, c’est cela même qu’elle met en question, en traçant ses propres chemins à partir de cette étoile décomposée. La reproduction à l’infini ne fonctionne plus.

Pour le Mac Lyon, Latifa Echakhch présente une série de toiles peintes reprenant ce principe des motifs d’ornements symétriques qui se prolongent d’une toile à l’autre de manière chaotique.

«Une exposition ne se construit pas de la même manière qu’une œuvre. Finalement, on peut accrocher une œuvre seule et elle acquiert une autre problématique mais dès que je commence à réfléchir en termes d’exposition, je me demande quel paysage je veux donner à voir.» (Latifa Echakhch)

Latifa Echakhch est née en 1974 à El Khnansa au Maroc. Elle vit et travaille à Martigny en Suisse. Née au Maroc, arrivée en France à l’âge de 3 ans et vivant la plupart du temps en Suisse, Latifa Echakhch réalise une œuvre multi-référentielle et protéiforme à l’image de son parcours personnel, de ses voyages et de ses centres d’intérêt.

Le rapport entre la matière et l’espace est essentiel pour elle. Matériaux, méthodes d’agencement et univers poétiques se superposent. Son «langage» est sensible mais étonnamment puissant en contradiction apparente avec sa volonté d’utiliser des matériaux modestes, tels des morceaux de sucre, des verres à thé, des tapis, du stencil, ou des colorants alimentaires.

Elle réussit à évider de leur charge culturelle des objets, aussi bien issus de la culture arabe que d’autres cultures qu’elle a traversées, pour les considérer sous un jour esthétique sans, cependant, en abandonner la charge politique car celle-ci est constitutive de son propre vécu et de ses positions critiques.

«Je tiens à garder ce rapport d’étrangeté. Je suis née au Maroc, mais je suis venue très jeune en France. Je ne parle pas l’arabe, ni le berbère, je ne suis allée que neuf fois au Maroc dans ma vie. J’aime garder cette distance, elle est à la source de mes pièces… oui, évidemment ma démarche est éminemment politique, mais pas exclusivement…» (Latifa Echakhch)

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