LIVRES

L’Amour des choses

Vieilles poupées, peluches rapées, chiens en canevas et autres porte-clés habitent le musée improbable de Macha Makeï;eff. Ses textes leur donnent une seconde vie.

— Éditeur(s) : Arles, Actes Sud
— Année : 2001
— Format : 10 x 19 cm
— Illustrations : quelques, en couleurs
— Page(s) : 30
— Langue(s) : français
— ISBN : 2-7427-3566-6
— Prix : 5,90 €

Extrait
par Macha Makeï;eff

Et si l’on venait tous de quelques choses, d’une poignée d’objets de terreur et de désir, fragments, merveilles ou débris, tenaces ou fragiles, insistants toujours, qui seraient nos traces, repères, ancrage, nous définiraient, cailloux blancs sur le chemin.

Je ne veux ni taire ni ignorer ce qui se dérobe, à jamais perdu. Il y a un jeu pour ça, trouble et compassionnel : notre arrangement avec la défaite. On se laisse envahir, par de petits guignols et autres saints d’une légende moderne, en nombre obsédant, ces héros de plastique en multitude, à peine consacrés, déjà balancés dans l’oubli.
Il y a quelque chose de lyrique chez ces fêlés et du rêve à prendre dans le quotidien gluant de ces figurines. Ça chante dans les étalages des puciers !
On les croit ramassés sur le trottoir, en fait ils remontent à la surface d’un ailleurs, à soi, très proche, en raison de coï;ncidences, de quelques ruses et détours après l’épuisant désordre de la récolte.
Je fais le cortège de tout un petit peuple de rêves perdus.
La seule morale des choses c’est leur beauté, celle-là même que l’on recueille dans la disgrâce.
Elles font mon paysage intérieur, ces choses, épinglées en moi, et c’est un droit d’asile que je réclame pour elles : le temps d’une célébration, j’arrache le singulier à la multitude clonée, à l’oubli collectif, cette dernière benne d’enlèvement.
Avec, spectacle des spectacles, si belle, terrible et aimée, l’image de l’usure, du flétri, de la toute petite ruine, ses grâces, son mystère, et la sensation si vive de la félicité des choses.
Je les désire pour leur expressivité immédiate, je subis leur attraction, la terreur et le sublime des icônes, je les regarde comme des martyrs. J’ai su que pour nous consoler, les choses demeuraient inconsolables.

Si je vais jusqu’au bout de mes hantises, tout cela reste un jeu comme le théâtre et la littérature, un jeu grave et intuitif.
Quel sera le protocole contre l’effroi ? Se mettre soi-même à l’intérieur de l’histoire, faire le mémorial de la grande menace, dire l’enchantement des ruines. La combinaison du sacré et du rire mêlés !

(Publié avec l’aimable autorisation des Éditions Actes sud)