ART | CRITIQUE

Lames et As They Fall

PMagali Lesauvage
@12 Jan 2008

Les deux expositions «Lames» de Marc Couturier et «As They Fall» de Robyn O’Neil actuellement présentées à la galerie Praz-Delavallade sont fort différentes, mais toutes les deux conduisent le spectateur à la contemplation et provoquent chez lui un sentiment de tension spirituelle.

Les dessins au crayon de Robyn O’Neil, regroupés sous le titre «As They Fall», se situent, par la grande qualité du dessin et l’atmosphère lunaire qui s’en dégage, dans la lignée du dessin romantique (notamment à certaines œuvres sur papier de Caspar David Friedrich) ou surréaliste (la texture apparente du papier fait penser aux frottages de Max Ernst).

Plusieurs vastes paysages, nus et glacés, au ciel menaçant et aux arbres décharnés, sont peuplés de petits personnages masculins, sortes de clones agencés en file indienne, dominés par la nature hostile qui les environne.
La longue marche de They Ran Fast From This, And Will Now Reach For Something Great évoque des images de fuite, de déportation ou de diaspora.

Plus loin, de vastes paysages marins donnent un sentiment d’infini, proche de la mort: l’arbre mort flottant dans l’air au-dessus de l’eau dans The Breaking Sea est une image de fin du monde, tout comme A World With No One, aboutissement de l’apocalypse annoncée.
La référence biblique est bien là, dans ces images eschatologiques, ou dans Helpless To That Heavy Air, The Men Fought Like Animals, évocation d’épisodes de lutte de l’Ancien Testament (Jacob et l’Ange, Abel et Caïn…), thèmes iconographiques importants de l’histoire de l’art.

L’excellence du dessin et la réflexion profonde de l’artiste font de ces dessins des œuvres passionnantes, et illustrent avec intérêt le renouveau actuel du dessin dans les pratiques artistiques.

C’est à une réflexion sur la sculpture et son rapport à l’espace que se livre dans la pièce suivante Marc Couturier.
On se souvient de l’impressionnante barque surgissant d’un miroir, installée au monastère de Brou l’année dernière, barque de Charon en suspension entre deux mondes. Ici également, des Lames, fichées dans le mur et flottant comme en lévitation, défient les lois de la pesanteur et de l’apesanteur, du tangible et de l’intangible, du matériel et de l’immatériel.
Leur forme biseautée, parfaite, rappelle le dynamisme des œuvres de Brancusi. Cependant, l’aspiration n’est pas ici dirigée vers le ciel: c’est bien plutôt une tension entre les Lames qui émane de l’ensemble, et une attraction irrésolue entre deux forces, entre le ciel et la terre.
Ici aussi, mais grâce à un procédé totalement différent de celui de Robyn O’Neil, l’artiste questionne le spirituel dans l’art.

Traducciòn española : Maïté Diaz
English translation : Margot Ross

Robin O’Neil
— Ordinary Men Have Hearts That Hunt These Sacred Sprouts No Matter The Hour, For They Need This Calm, 2006. Crayon sur papier. 203 x 203 cm.
— They Ran Fast From This, And Will Now Reach For Something Great, 2006. Crayon sur papier. 203 x 203 cm.
— This Is My Adoring Bow, Great Are Our Moments Together, 2006. Crayon sur papier. 125,7 x 88,26 cm.
— No Matter How Rich Our Blood, This Massive Earth Rises Above And Provides Us No Wings, 2006. Crayon sur papier. 125,7 x 88,26 cm.
— As This World Closes In, Everything Will Rest, 2006. Crayon sur papier. 42 x 64 cm.

Marc Couturier
— Sans titre, n.d. 5 lames samba de 120 à 260 cm.

AUTRES EVENEMENTS ART