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L’affolé de son art

21 Mai - 04 Août 2008
Vernissage le 21 Mai 2008

Katsushika Hokusai fût sans doute le plus célèbre des peintres et dessinateurs japonais de sa génération, le plus extraordinaire, et celui dont la renommée a le plus rapidement franchi les mers. Artiste polyvalent et complet, spécialiste de l’Ukiyo-e s’étant aussi réalisé dans l’écriture, son nom est depuis longtemps populaire en Europe et sa vie apparaît comme une quête touchante de la perfection se composant de six grandes périodes, parcours que retrace le fil de l’exposition.

Communiqué de presse
Hokusai

L’affolé de son art

« Depuis l’âge de six ans, j’avais la manie de dessiner les formes des objets. Vers l’âge de cinquante, j’ai publié une infinité de dessins ; mais je suis mécontent de tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans. C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la forme et la nature vraie des oiseaux, des poissons, des plantes, etc. Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait beaucoup de progrès, j’arriverai au fond des choses ; à cent, je serai décidément parvenu à un état supérieur, indéfinissable, et à l’âge de cent dix, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. Je demande à ceux qui vivront autant que moi de voir si je tiens parole. Ecrit, à l’âge de soixante-quinze ans, par moi, autrefois Hokusai, aujourd’hui Gakyo Rojin, le vieillard fou de dessin. » Katsushika Hokusai, Postface aux cent vues du mont Fuji.

Katsushika Hokusai (1760-1849), fût sans doute le plus célèbre des peintres et dessinateurs japonais de sa génération, le plus extraordinaire, et celui dont la renommée a le plus rapidement franchi les mers. Artiste polyvalent et complet, spécialiste de l’Ukiyo-e s’étant aussi réalisé dans l’écriture, son nom est depuis longtemps populaire en Europe et sa vie apparaît comme une quête touchante de la perfection se composant de six grandes périodes, parcours que retrace le fil de l’exposition. Artiste du peuple, il est mort presque ignoré, sinon méprisé de la classe aristocratique. La vogue énorme de son talent dans la classe populaire ne s’est guère étendue au delà des lettrés et des dilettantes de la petite bourgeoisie. La foule de ses admirateurs se recrutait principalement parmi les marchands, les artisans, les courtisanes et les habitués des maisons de thé de Edo (1603-1867, actuelle Tokyo).

Si son influence resta quasi inexistante sur les écoles d’art classique de Kyoto, sur les nobles et le monde de la cour, elle fut, au contraire, décisive, sur l’évolution de l’Ukiyo-e et sur les destinées des arts décoratifs, tels que l’imagerie en couleurs et la décoration des objets usuels. Aujourd’hui, le Japon en est encore l’héritier. Hokusai marque la dernière étape de l’art national Nippon en estampe de paysage, avant l’invasion des modes et des idées européennes.

L’estampe japonaise est un travail d’équipe, le dessinateur (eshi) fournit son modèle au graveur (horishi) qui transpose l’œuvre sur bois et la donne à l’imprimeur (surishi). De l’habileté technique de ces trois intermédiaires dépend la qualité de l’œuvre finale, faite pour être vendue à un public le plus large possible.

L’art de l’Ukiyo-e, images du monde flottant, est né à Edo. Il reflète la passion du théâtre, des restaurants, des geishas et des shunga (images érotiques), mais aussi l’importance de la nature et de la tradition. Les thématiques sont souvent liées à la représentation des acteurs de kabuki mais aussi à l’amour, scènes érotiques et idéal féminin aux formes fragiles. Les Bijin, images de belles femmes, évoquent à la fois un monde de plaisir et d’éphémère. Que ce soient des courtisanes, des prostituées ou de simples femmes, leur attitude, leurs vêtements et la façon dont elles sont maquillées, constituent un langage qu’il est nécessaire de décrypter pour comprendre l’art japonais de l’époque Edo.

Enfin, c’est le paysage qui triomphe au XIXe siècle. Hokusai connaît la peinture occidentale et la perspective linéaire, en retour, le maître séduit les peintres symbolistes français, comme Bonnard, ou post impressionnistes, comme Van Gogh. Les estampes japonaises circulaient déjà en France dans les années 1860. Introduites par des artistes et des marchands spécialisés, elles arrivèrent en masse (après 1868), lorsque le Japon ouvrit ses frontières sur le monde.

« Les Trente-six vues du Mont Fuji » sont une série de 46 estampes réalisées par Hokusaï (1760-1849) et dont les dates d’édition s’étendent entre 1831-1833 et 1840. Elles représentent le mont Fuji depuis différents lieux, suivant les saisons. Cette série est aujourd’hui très célèbre car elle marque l’intégration dans les thèmes de la tradition japonaise (la plus ancienne de nombreuses représentations artistiques du mont Fuji semble datée du XIe siècle) des modes de représentation occidentaux, et en particulier de la perspective utilisée dans la peinture occidentale.

Vers 1830, Hokusai contacte probablement l’éditeur Nishimuraya Yohchi pour lui soumettre son projet de graver une série de grandes estampes de paysage sur ce thème unique. Dix estampes paraissent d’abord, dont « La grande vague au large de Kanagawa », » Le Fuji par temps clair » et « L’orage sous le sommet », souvent considérées comme les trois plus célèbres estampes japonaises et dont le succès fut immédiat. « Les Trente-six vues du mont Fuji » est une des premières séries entièrement consacrée au paysage mais réalisée en grand format (oban) et en cela Hokusai a révolutionné la peinture de l’époque.

Cependant même si le Mont Fuji est l’élément principal de la série, il ne constitue pas son but ultime, le thème central qui habite ces estampes étant l’illustration du rapport entre l’homme et la nature : « Le thème des « Trente-six vues du Mont Fuji » est le rapport entre l’homme et la nature, et la plus grande invitation à approfondir ce rapport se trouve là, justement, où l’homme n’est pas représenté (ce qui ne l’empêche pas d’être présent – à travers l’œil du spectateur). » (Kenneth White)

« Les Trente-six vues du mont Fuji » ont connu un très grand succès notamment grâce à la qualité plastique des estampes, à leur originalité ; deux aspects de cette série ont surtout fait sa renommée : l’utilisation du Bleu de Prusse ainsi que l’influence des modes de représentation occidentaux. Le Bleu de Prusse, appelé également bleu de Berlin, était un pigment récemment importé de Hollande depuis 1820, que l’on retrouve dans les « Trente-six vues du Mont Fuji » notamment dans « La Grande Vague », « La plage de Shichirigahama » dans la province de Sagami ou encore dans « Le lac de Suwa » dans la province de Shinano. Il transforma l’aspect des estampes : il fut utilisé pour la première fois par le peintre en 1829 et connut un succès immédiat.

Les artistes appréciaient l’utilisation de cette couleur d’origine synthétique qui ne risquait pas de perdre de son intensité avec le temps ; ils l’utilisèrent d’autant plus qu’ils étaient condamnés par la censure à n’utiliser qu’un nombre restreint de couleurs et avaient réalisé les ressources infinies qu’ils pouvaient tirer de ce seul bleu. Le bleu de Prusse était très vite devenu tellement prisé que l’éditeur d’Hokusai lança une édition, en aizuri-e (estampes bleues), de certaines des « Trente-six vues du mont Fuji » avant d’éditer la série avec les couleurs complémentaires. Toutes les estampes de la série ne sont pas fondées sur ce pigment mais une certaine tonalité bleue se dégage de l’ensemble, « le bleu, peut-être, de l’espace et de l’éternité (avec l’avantage matériel que ce bleu de Prusse gardait effectivement longtemps son intensité, alors que d’autres bleus pâlissaient vite). » (Kenneth White).

« Les Trente-six vues du Mont Fuji » ne sont pas tant célèbres pour la grande diversité des thèmes représentés mais plutôt parce que certaines de ces estampes expriment une vision du paysage purement japonaise alors que d’autres, de manière équilibrée et naturelle, utilisent les principes de la perspective occidentale. Ainsi dans son ouvrage L’estampe japonaise, Nelly Delay souligne cet aspect que l’on retrouve dans les estampes de la série : « Il émane d’elles tant de naturel et de spontanéité que l’on imagine mal qu’elles puissent être l’aboutissement d’un projet déterminé. Or, dès que cette idée vient à l’esprit, l’entrecroisement savant des lignes apparaît clairement. L’accent d’un point focal, d’où rayonne un éventail de directions pour le regard, la force des diagonales, qui divisent la composition en plans, prouvent que ces estampes, au-delà de leur climat poétique, s’adresse à notre sensibilité, tout autant qu’à notre esprit. Cheminer à l’intérieur de ces paysages est dès lors d’un intérêt accru. »

La forme, la composition ont toujours été très importantes pour Hokusai. Dans la série des « Trente-six vues du mont Fuji », les formes géométriques comme le carré ou le rectangle, le cercle et le triangle jouent un rôle essentiel dans la construction des scènes représentées. Hokusai utilise par exemple dans l’image du pêcheur de Kajikazawa une construction triangulaire : le triangle du Mont Fuji se retrouve dans le triangle formé par le rocher, le pêcheur et ses lignes. Quand il représente la scierie de Honjo, il construit son estampe avec des formes géométriques simples comme des carrés et des lignes droites. Hokusai incorpore ces formes géométriques simples dans un climat poétique. L’influence de mode de représentation occidentaux se retrouve plus particulièrement dans La rue Seruga à Edo dans laquelle Hokusai adopte une perspective presque purement occidentale en plaçant le sommet du Mont Fuji entre les deux bâtiments du magasin Mitsui dont les ouvriers couvrent le toit.

Les Trente-six vues du mont Fuji ont révolutionné la peinture japonaise -notamment en plaçant le paysage au rang de sujet à part entière-, mais cette série a également été une source d’inspiration très importante pour les peintres occidentaux japonisants du XIXe siècle. On la retrouve chez de nombreux peintres, qui en firent même parfois collection : Van Gogh, Monet, Degas, Renoir, Pissaro, Klimt, Giuseppe de Nittis ou Mary Cassatt. Le Pont sur un étang de nymphéas de Monet (huile sur toile de 1899) semble s’inspirer de l’architecture des ponts telle qu’on la retrouve dans plusieurs des estampes de la série d’Hokusai. La Grande Vague au large de Kanagawa, quand elle a été découverte par l’Europe dans la deuxième moité du XIXe siècle, a influencé de nombreux peintres et certains poètes : pour Debussy cette estampe constitue sa plus grande source d’inspiration pour composer « La mer ».

On ne soulignera jamais assez que c’est en France que débuta un intérêt tout à fait particulier pour le Japon, que ce soit dans le domaine politique, économique ou culturel, sous le Second Empire. Tout commence donc avec les collectionneurs d’art japonais, qui exposent les œuvres qu’ils possèdent. Les premiers exemplaires d’estampes en Europe sont montrés à Paris. Un petit cercle d’amateurs d’art japonais, se réunit à Paris, dont les frères Goncourt (Edmond de Goncourt est l’auteur de la première monographie consacrée à Hokusai), Baudelaire, Frédéric Villot, l’industriel Falize, Cernuschi….

En 1856, Bracquemond devient le premier artiste européen à copier des œuvres japonaises. Il choisit une œuvre de Hokusai. Le japonisme a donc sauvé des œuvres qui allaient disparaître et permis de développer une voie nouvelle de l’art japonais. Dès lors, l’art japonais commence à être apprécié à grande échelle. Des collectionneurs, et des critiques d’art entreprennent des voyages au Japon dans les années 1870 et 1880 et contribuent à la diffusion des œuvres japonaises en Europe, et plus particulièrement en France. En 1871 Henri Cernuschi et Théodore Duret se rendirent au Japon où ils glanèrent les premiers éléments de leurs futures collections.

Pendant que les intellectuels américains réfutent la vision des critiques d’art français, qui voient en l’estampe japonaise une forme suprême de l’art japonais, l’ukiyo-e devient une nouvelle source d’inspiration pour les peintres impressionnistes européens. C’est dans une série d’articles publiés en 1872 pour la revue Renaissance littéraire et artistique, que le collectionneur Philippe Burty donne un nom à cette révolution : le japonisme. Des artistes très peu reconnus au Japon, produisant un art considéré comme léger et populaire par les élites japonaises de l’époque, vont alors inspirer les artistes européens adeptes de cet art. En 1876, Émile Guimet et Félix Régamey sont également partis en voyage au Japon et ont ramené les importantes collections, -essentiellement d’art bouddhique-, qui formeront la base d’un futur musée à Lyon, puis à Paris. Le roman de Pierre Loti Madame Chrysanthème publié en 1887, ne fait qu’accentuer et populariser cette mode. Les expositions universelles parisiennes de 1889 et de 1900- l’Empereur Meiji proposa même quelques pièces de sa collection personnelle-, mettent le Japon à la mode et présente un bon nombre d’œuvres des collections Bing et Tadamasa- tous deux antiquaires spécialistes ès japonaiseries-, Cernuschi, Burty ou Guimet. Le Japon y est très présent à la fois par l’architecture, les estampes et par la production céramique. Des œuvres japonaises entrent dans les collections du musée du Louvre, dès 1892.

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