DANSE | CRITIQUE

La Vitrine

PCamille Paillet
@14 Mai 2009

Exposés aux regards des passants, au devant de la vitrine du magasin Singer, juste à côté du nouveau modèle d’aspirateur multifonctions, deux mannequins immobiles, tout de jeans vêtus, profitent d’un instant d’inattention de la vendeuse pour se dégourdir le corps en s’animant dans une danse d’une lenteur langoureuse.

Dans le cadre de la 4è édition du festival de danse « Avis de turbulences », la compagnie Etant donné présente ses deux nouvelles créations : Vitrine, performance qui s’inscrit à la lisière des champs chorégraphique et plastique et La Théorie du 2 qui interroge la notion du semblable.

Le choix du lieu de la représentation, la sphère publique de la rue ainsi que l’originalité du cadre de la mise en scène, — l’espace confiné d’une devanture de magasin — invitent les spectateurs de Vitrine à une lecture cinématographique ou picturale des corps exposés favorisant l’aspect visuel de la représentation.

Le propos de la pièce oriente le regard sur le costume en jean que Marie Rual et Aline Braz da Silva sont contraintes de vendre en engageant une série de postures enchaînées dans une temporalité lente qui décortique le mouvement et révèle le jeu des tensions dans le transfert du poids du corps. Outre l’identification sociale qui s’opère par la présence du jean — qui ne possède pas cet objet dans sa garde robe ? — et la symbolique qu’il suscite en tant que produit de consommation dérivé de l’univers de la mode , son utilisation est, dans ce cas précis, un élément scénique indispensable à l’écriture de la pièce puisque c’est lui qui génère le mouvement.

Ainsi, les portés effectués à partir des poches des pantalons, la récurrence du mouvement de déhanchement dans le travail sur les postures, ainsi que le geste répétitif de remontée et de descente de braguette  résultent des possibilités de jeux chorégraphiques autour de cet objet-jean. Les danseuses, non sans humour, se lancent dans un jeu de séduction par des gestes et des postures outrancières qui tournent en dérision les poses figées des mannequins véhiculées entre autres par l’image publicitaire.

C’est dans cette perspective caricaturale qu’une des danseuses se retrouve à quatre pattes, sa partenaire à califourchon sur son dos, cambrant le buste dans une attitude de séduction quelque peu agressive et qui interpelle assez facilement l’imaginaire collectif.

Par ailleurs, la forme performative de cette pièce et le choix d’une mise en scène hors les murs engendrent une remise en question des conditions classiques de représentation et malmènent quelque peu la perception des spectateurs. En effet, la mise en boîte de ces deux danseuses rangées en tant qu’objets au même titre que les autres produits ménagers induit une attitude de consommateur chez le spectateur dont la réception est réduite au seul plaisir scopique. L’impossibilité d’échange entre les corps représentés et le public, la vitre scindant en deux les regardants des regardeurs, place le public dans une situation de voyeurisme, qui se traduit soit par un certain malaise ou agacement à ne pouvoir s’approprier ces corps, soit au contraire par un certain plaisir érotique à contempler passivement l’objet du désir — le sexe et l’argent étant souvent proches dès lors qu’ils sont confrontés au mécanisme du pouvoir.

— Conception : Frédérike Unger et Jérôme Ferron
— Interprétation : Marie Rual et Aline Braz da Silva
— Décor : Etienne David
— Régie lumière et bande son : Johan Allanic
— Costumes : Jennifer Lebrun

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