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La tyrannie de l’image

Comment une image peut-elle exiger de nous que nous la prenions pour ce qu’elle est (une image) et non pour la réalité ? Ou bien encore: comment l’apparence peut-elle se dénoncer elle-même en tant que simulacre ? Toute l’ingéniosité de Ronald Dagonnier se concentre sur cette question; sur ce point de bascule fragile où la conscience oublie d’opérer un trie dans ce qu’elle voit. Car dès que nous cessons d’exercer notre jugement — nous tendons à prêter aux apparences des qualités qu’elles n’ont pas. 

Ce n’est donc pas un hasard si Ronald Dagonnier débute son exposition par une série de portraits-filmés où les visages qu’il nous montre d’abord de face, s’inclinent ensuite lentement comme s’ils voulaient nous signifier qu’ils n’étaient pas vraiment là. En nous confrontant à ce double mouvement allant de la présence à l’absence et de l’absence à la présence, ce que Ronald Dagonnier veut faire disparaître c’est le regard; ce point fixe et absolu de tout portrait qui nous force pour un temps à le croire vivant.

Mais il n’y a pas que le regard qui peut égarer notre jugement. Il y a aussi l’ouïe : qu’une image soit douée de parole; qu’elle puisse nous délivrer un message où nous mettre en présence de deux individus qui parlent; c’est là quelque chose que le cinéma nous a rendu banal; mais c’est justement ce à quoi veut nous rendre sensible Ronald Dagonnier dans son installation «Y a-t-il quelqu’un».

En projetant des fragments de films sur le fond fumant d’une coupe, nous ne sommes plus pris au piège de l’accord entre le son et l’image — mais nous nous émerveillons de voir des apparitions; des êtres fantomatiques : Nous nous laissons séduire par une image à peine esquissée; par le jeu incessant de ses métamorphoses sans jamais, pour autant, en être les dupe.

De la même façon, dans sa série de photographies «Toilettes», Ronald Dagonnier s’amuse à détourner l’ordre du «réel» pour lui donner une consistance étrange – entre rêve et réalité. Ni tout à fait cubistes, ni vraiment réalistes, ces photos (hommage déclaré à David Hockney) ne savent (et ne veulent) que donner l’illusion d’êtres fidèles à la réalité : en les voyant, nous pouvons reconnaître les lieux et les formes qu’elles représentent, mais nous ne pourrions en aucune façon les prendre pour des clichés de la réalité.

Et c’est bien là ce qui compte pour Ronald Dagonnier : que nous apprenions à voir les images sans nous y perdre; à les apprécier sans les fétichiser; bref, à jouer de leurs contours, de leurs couleurs et de leurs formes sans qu’en retour elles exigent de nous quoi que ce soit.

Ronald Dagonnier
— Toilettes, Moma, 2000. Impression numérique sur plexiglas. 45 x 37 cm
— Toilettes, Centre Georges Pompidou, 2008. Impression numérique sur plexiglas. 36 x 45 cm
— Terrain miné, 2008. Projection sur baby foot. 80 x 50 x 65 cm
— In God We Trust, 2007. Cadre vidéo numérique en boucle.
— Cube vidéo, 2008. Installation vidéo, cadres numériques et socle + cloche en verre. 164 x 30 x 30 cm