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La Traversée du miroir

PElisa Fedeli
@24 Sep 2011

Depuis que la chaîne de radio France Culture a choisi sa série Exploration des fonds sous-marins comme support de sa dernière campagne publicitaire, Philippe Ramette a été catalogué comme photographe. Son œuvre explore cependant d’autres médiums, dont la sculpture.

Dans cette exposition du Centre Régional d’Art Contemporain Languedoc-Roussillon, Philippe Ramette semble explorer de nouvelles voies par le biais de la troisième dimension. Mais dans son approche de la sculpture, la photographie n’est jamais bien loin. Du moins à travers une notion qui lui reste attachée: la recherche du point de vue.
Au-delà de sa dimension comique, Portrait tragi-comique est un commentaire sur l’essence de la sculpture qui, au contraire, de la photographie ne se limite pas à un seul point de vue mais en réunit plusieurs. Cet autoportrait hyperréaliste de l’artiste est composé de différentes expressions (le rire et le chagrin), impossibles à faire coexister dans la réalité. Ainsi, selon le côté duquel il est regardé, le visage apparaît tantôt souriant, tantôt triste. Par son déplacement, le spectateur peut donc choisir quel angle il préfère: tragique ou comique?

Avec Fish Eyed, les murs d’une salle d’exposition sont remodelés pour donner l’impression qu’ils sont vus à travers l’objectif photographique du même nom. La photographie sert donc ici de point de vue déformant pour réinventer l’architecture conventionnelle du White Cube.

L’invention de points de vue ou de situations inédits constitue l’enjeu de plusieurs autres sculptures.
Le funambule, un fil solidifié à 3 mètres du sol, dessine un parcours aérien sinueux et propose un regard décalé sur le monde. Le spectateur terrestre est ainsi invité à adopter, du moins par l’imagination, un autre point de vue que le sien. A quoi peut bien ressembler l’exposition vue depuis le fil?

Ensuite, le dispositif du Voyeur orchestre différents regards dans un jeu d’allers-retours: un mannequin d’homme se cache derrière un rideau pour épier la salle d’exposition tandis que ses chaussures qui dépassent permettent au visiteur de débusquer sa cachette en un clin d’oeil. En dehors de l’absurdité qui la caractérise, cette scène questionne notre rapport à l’Å“uvre et à l’exposition.

Enfin, grâce à des jeux d’échelle, Philippe Ramette désoriente les repères habituels du spectateur. A côté de Marionnette, une attelle de marionnette surdimensionnée, on se sent en effet tout petit et on finit par craindre la possible utilisation de cet objet de coercition à échelle humaine: et si nous n’étions que des marionnettes?

Le climat anxiogène de l’exposition est amplifié par d’autres Å“uvres, comme Sculpture sécable qui transpose un cachet d’anxiolytique dans des proportions géantes et Sculpture pré-déboulonnable, présentation magnifiée de la statue d’un dictateur sur un socle exagérément haut. Plus loin, Espace d’anticipation propose une salle d’attente inconfortable, où l’on peut s’arrêter pour regarder défiler sur une horloge le temps inquisiteur.

Toutes ces Å“uvres mettent en évidence les menaces que le conditionnement de la pensée fait peser sur l’individualité. Mais elles contiennent en germe des formes de résistance latente: Sculpture pré-déboulonnable inclut par exemple un système d’encoches pré-découpées au niveau des tibias du dictateur. La représentation peut donc être renversée et remplacée par une autre, selon les circonstances. L’oeuvre invite donc à penser activement le renversement de l’Histoire.
Enfin, en guise de pied de nez à tous ceux que le pouvoir de la pensée laisserait sceptiques, La Traversée du miroir est une sculpture-objet inventée par l’artiste à partir de l’expression qui caractérise le moment où Alice bascule vers le Pays des Merveilles. Sans aucun trucage, l’Å“uvre réussit à réaliser cet acte imaginaire, au moyen d’un miroir troué à plusieurs endroits que le spectateur peut traverser littéralement, donc physiquement. Preuve que la magie aussi peut devenir réalité.

Humour et poésie ne suffisent pas à résumer le travail de Philippe Ramette. La recherche de points de vue insolites sur le monde, une manière de titiller nos certitudes et de nous amener à relativiser leur validité, font de son Å“uvre un véritable manifeste pour la liberté de pensée. A l’image de cette dernière Å“uvre (Eloge de la clandestinité (Hommage à la Résistance), la seule photographie de l’exposition qui est aussi un autoportrait: l’artiste réussit à se fondre dans le vague de la banalité, en troquant sa célèbre effigie (l’homme élégant en costume noir) contre une autre panoplie (un sweat-shirt bon marché, doublé d’une calvitie). Et à être là où son public ne l’attend pas.

Oeuvres
— Philippe Ramette, L’Ombre (de moi-même), 2007. Installation lumineuse, technique mixte. Dimensions variables.
— Philippe Ramette, Portrait tragi-comique, 2011. Silicone, résine, cheveux. 50 x 50 x 30 cm
— Philippe Ramette, Eloge de la Clandestinité (Hommage à la résistance), 2011. Photo couleurs. 150 x 120 cm
— Philippe Ramette, La traversée du miroir, 2011. Bois, miroir. 190 x 50 x 100 cm
— Philippe Ramette, Sans titre (le voyeur), 2011. Résine, cheveux, peinture, tissu
— Philippe Ramette, Sculpture pré-déboulonnable, 2011. Résine peinte et socle en bois. Sculpture: 192 x 80 x 40 cm

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