ART | EXPO

La Source des Rides

PFrançois Salmeron
@29 Jan 2013

Taro Izumi déploie un espace foisonnant et chaotique autour de performances loufoques et absurdes. De ces performances demeurent des vidéos projetées sur des écrans, et des œuvres pour le moins insolites ou teintées d’humour noir, qui ne manquent toutefois pas d’aborder occasionnellement des sujets sérieux, dont le séisme japonais de mars 2011.

Un grand fatras d’objets a été déversé juste derrière la porte d’entrée de la galerie, nous obstruant presque le passage. L’installation Diagonal Harvest se réfère ainsi au séisme qui a frappé le Japon en mars 2011, en interrogeant les notions de chaos et d’équilibre. Marqué par cette expérience, Taro Izumi a voulu «immobiliser les éléments d’un monde en mouvement». Tables, chaises, bureaux, commodes, bancs et étagères se trouvent ici entremêlés, dans des positions bancales, comme si chaque pièce était sur le point de tomber. Un grand désordre vient donc perturber les agencements auxquels nous nous référons habituellement, à l’image d’un soudain séisme qui viendrait tout à coup chambouler l’arrangement du mobilier de notre maison.

Ce qu’il y a d’également remarquable, ce sont les petits bonhommes en bois placés sous les pieds des éléments du mobilier, qui s’affairent à bouleverser leur équilibre. Ces figurines incarnent en effet des «esprits», suivant la tradition animiste japonaise. Elles matérialisent par là l’invisible — l’invisibilité des esprits donc, mais aussi des vibrations, des ondes et des oscillations provenant des entrailles de la terre.

A l’arrivée, tout ce mobilier semble prêt à s’écrouler, entraîné dans un tourbillon irrésistible, mais pourtant, tout reste là, statique, immobile devant nos yeux incrédules: Taro Izumi a donc bien réussi à immobiliser un mouvement de chute et de renversement. Alors que tout ordre est chamboulé et que chaque pièce paraît à deux doigts de perdre définitivement l’équilibre, il semblerait que l’on ait appuyé sur «pause», et que le temps se soit arrêté à l’instant même avant que tout ne s’écroule.

Au milieu de ce chaos, un écran renversé diffuse l’image de l’artiste, continuant à sonder la question de la stabilité et de la perte d’équilibre. Face à un mur où sont fixés des panneaux en bois, Taro Izumi tient un feutre dans chaque main, qu’il plaque tour à tour sur ces panneaux diversement agencés, luttant pour trouver une position confortable, ou un tant soit peu de stabilité.

Après Diagonal Harvest, où le trauma du séisme de 2011 demeure bien présent, Taro Izumi présente des performances plus humoristiques et loufoques, où l’artiste se malmène parfois. La pièce Cheese par exemple, constitue un étroit parcours circulaire fait de planches de bois que Taro Izumi aura arpenté par trois fois, et s’inspirant d’un conte anglais relatant les aventures d’un petit garçon poursuivi par de vilains tigres (The Story of Little Black Sambo). Là encore, des écrans de télévision rendent compte de la performance de l’artiste: on le voit laborieusement ramper, et recevoir sur le coin du nez pots de peinture ou pots de colle. Imperturbable, il continue son chemin, avec un calme olympien.
Tout cela donne un caractère cocasse et absurde à sa démarche. Taro Izumi ne manque donc pas d’autodérision. A la manière d’une tortue ou d’un escargot, il se traîne péniblement, avec une drôle de petite structure en bois harnachée sur le dos, qui vient justement percuter les obstacles qu’il aura disséminés sur le parcours, et qui lui atterrissent alors sur le coin de la figure.

Le bestiaire se poursuit avec l’installation Thick Water, qui n’a rien à envier à un laboratoire de savant fou ou d’alchimiste illuminé. Différents flacons prétendent en effet renfermer chacun un animal, avec pour enjeu majeur d’en capturer sa couleur. Araignée, sauterelle, mouton ou bison ont ainsi été réduits en bouillie et mis en bocal. Et une toile, sur laquelle dégoulinent quelques couleurs, est également parsemée de collages avec des morceaux d’animaux ou de pelage.
Les installations apparaissent alors comme des jeux absurdes ou teintés d’humour noir.

Taro Izumi propose aussi deux performances traitant de la question de la perspective. L’une à partir d’une complexe structure en bois (Illegally Digging) dont les ombres sont projetées sur la toile, et dont Taro Izumi peint les interstices suivant un moniteur vidéo.
Les performances de l’artiste sont donc indissociables de l’usage de la vidéo. Working Rock vient d’ailleurs une nouvelle fois illustrer les liens que tisse Taro Izumi entre ce médium et ses installations. Ici, une structure en bois blanche, s’apparentant à un podium, sert à atteindre le bouton «marche / arrêt» d’un téléviseur accroché au plafond de la galerie. Par là, Working Rock témoigne encore du caractère absurde que Taro Izumi insuffle à ses créations.

Å’uvres
— Taro Izumi, Diagonal Harvest, 2013. Meubles, bois. Dimensions variables
— Taro Izumi, Cheese, 2013. Bois, peinture, éléments divers, vidéo. 178,5 x 400 x 400 cm
— Taro Izumi, Thick water, 2013. Pots en verre, peinture, bois, poils, acrylique sur toile. Dimensions variables
— Taro Izumi, Illegally Digging, 2013. Bois, acrylique sur toile, projection vidéo. Dimensions variables
— Taro Izumi, Working Rock, 2013. Bois, vidéo. 160 x 80 x 80 cm

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