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La Révolution dans l’œil

PLuc Tuymans
@12 Jan 2008

Insurrection rétinienne. La porte d’entrée passée, l’œuvre est là, silencieuse, patiente, grandiose. Au seuil de plus de mille mètres carrés d’ouvrage historique, le visiteur s’apprête pourtant à sympathiser avec l’un des plus grondeur et des plus vigoureux bouleversement photographique.

Entre 1915 et 1956, le peintre, sculpteur, photographe et designer russe, Alexander Mikhaïlovitch Rodtchenko éveille et nourrit un courant artistique avant-gardiste et avec lui l’une des plus marquantes révolutions structurelles de l’histoire de la photographie.
Influencé tant par le Futurisme italien que par le Cubisme français, Rodtchenko impulse, aux côtés d’autres artistes tels que Vladimir Tatline ou Kasimir Malevitch, un Constructivisme radical appelé «productivisme». Adapté des méthodes de reproduction industrielle, ce nouveau courant tend à supprimer l’élitisme de l’art pour une diffusion populaire la plus large possible. En 1921, Rodtchenko et sa femme Varvara Stepanovna iront jusqu’à signer le Manifeste du productivisme, y annotant : «A bas l’art, vive la technique!».
Bien que maîtrisant, depuis sa sortie de l’Ecole des Beaux Arts en 1914, une peinture abstraite des plus novatrices, il découvre à partir de 1922 l’impact du photomontage et réalise des affiches politiques (dont les angles de prises de vue trop inhabituels dérangeront les staliniens), des affiches de films et des objets publicitaires. Peu après en 1924, il expérimente la photographie picturale et découvre «de nouveaux points de vue et de nouveaux angles de cadrage».

A partir d’un parcours ludique, quelques peintures expérimentales et quelques mobiles en bois font mieux comprendre l’univers esthétique de départ de l’artiste. Avec leurs lignes et leurs couleurs pures, ces travaux s’inspirent directement de la pensée constructiviste alors en place en Russie, basée sur une conception géométrique de l’espace.

Puis l’exposition revient sur quelques moments clés de la construction de l’URSS ainsi que sur les façons dont Rodtchenko avait voulu les aborder. La centaine travaux (photomontages et photographie expérimentale, reportages ou portraits) s’appuie sur des prises de vue authentiques, armées d’un vrai discours sociologique. En effet, respectant une démarche sociale, le photographe a couvert entre autres les défilés sportifs et militaires de Moscou comme la construction du canal de la Mer Blanche.

Rodtchenko raconte son pays et ses habitants mais figure les mutations qu’ils traversent tous par des angles et des cadrages plus qu’audacieux. Il serre ses plans au maximum, envisage des contre plongées renversantes, des perspectives diagonales. Mais il réinvente la lumière aussi. Savamment calculée, elle vient toujours embrasser le sujet, achevant de l’inscrire dans une atmosphère onirique, voire confidentielle. Prophète de l’imaginaire, il demeure en quête du quotidien idéal voyant une «absolue nécessité à lier toute création à la production et à la l’organisation même de la vie». Ses photos sont ce reflet fidèle d’une ère soviétique qui se cherche.

Mais ce sont bien toutes les pièces dans leur ensemble et réunies ici qui témoignent, entre modernité et exigence, de la valeur et de la portée de la tâche du visionnaire.

Cette exposition n’a jamais été réalisée en Europe auparavant. La présence de ces œuvres au Musée d’Art moderne de Paris est une vraie occasion de connaître et de comprendre les périodes Rodtchenko ainsi que leurs tracés dans patrimoine photographique.

Alexander Rodtchenko
Portrait de ma mère, 1924. Photographie noir et blanc.
Sortie de secours, Maison de la rue Myasnitskaya, 1925. Photographie noir et blanc.
L’Escalier, 1930. Photographie noir et blanc.

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