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La poupée sublimée

A la manière de Niki de Saint Phalle, de nombreux artistes contemporains ont utilisé les poupées pour créer un nouvel univers, un espace de subversion. A l’aune des différents types de poupées propres à nos cultures traditionnelles — idoles, matriochkas, etc. —, cet ouvrage interroge leurs différentes significations dans l’art contemporain.

Information

Présentation
Thierry Dufrêne
La poupée sublimée

Bien avant les Nanas étaient les poupées. Avant de créer ses fameuses figures féminines, Niki de Saint Phalle se saisit, dès ses premières peintures-assemblages, de poupées, pour les manipuler, barbouiller, voire même tirer dessus. Or, au-delà d’un élément de réel caractéristique du Nouveau Réalisme, celle-ci renoue avec un imaginaire mythologique. Quand elle réalise la Hon, une gigantesque Nana allongée, les jambes écartées, dans laquelle on pénètre par le vagin, elle renoue avec la figure matricielle à l’origine de la poupée comme déesse fétiche, idole de fertilité. Avec la poupée l’artiste redevient enfant, créant un nouvel univers, espace de subversion.

A l’aune des différents types de poupées propres à nos cultures traditionnelles — idoles, matriochkas, etc. —, ce livre interroge la signification des poupées dans l’art contemporain. Nombre d’artifices d’animation — ouverture labiale, yeux suiveurs, etc. — contribuent à leur inquiétante étrangeté, tandis qu’elles influencent les goûts et les normes. Or, objets intermédiaires à forte charge fantasmatique et normative, la poupée s’impose comme un véritable matériau plastique et créatif. Entre régression et récréation/re-création, la poupée s’offrirait comme un modèle rival du réel, pour repenser le monde et la société.

Les «artistes à poupées» sont légion: Arman, Bellmer, Dali, Picasso, Eva Aeppli, Cindy Sherman, Annette Messager, Sarah Moon, Gisele Vienne, Michel Nedjar, Lindsay Brice, BillyBoy… Ludiques, érotiques, licencieuses…. A l’encontre de toutes notions d’innocence ou de candeur liées à l’enfance, ce livre manifeste combien les poupées sont par nature irrévérencieuses; il est bien souvent question avec elles de fantasmes, d’utopie et d’anarchie, par l’imitation primitiviste de l’enfance et de l’invention plastique.

«Il est significatif que ce soit une femme artiste, Cindy Sherman, qui, dans les années 1980, quelque cinquante ans après Bellmer et plus de vingt ans après Niki de Saint Phalle, reprenne le thème de la poupée sexuelle. Dans les travaux qui l’ont fait connaître, elle se photographie jouant toutes sortes de rôles sociaux. En revanche, elle disparaît de et à l’image dans la série des Disasters et des Fairy Tales (1985-1989) au profit de poupées en plastique, mannequins et autres prothèses mammaires. Les Sex Pictures (1992) montrent des poupées morcelées et des prothèses disposées de façon obscène. Les Broken Dolls démantibulent l’enfance et l’innocence qu’on lui attache. L’artiste insiste presque lourdement sur le simulacre — les faux nez, les faux nichons —, qui lui permet de déconstruire les stéréotypes des contes de fées pour petites filles sages. Avons-nous d’ailleurs une identité qui ne soit un jeu de dupes? Nous non plus, nous n’avons pas choisi notre rôle: on nous a imposé ce corps normé, ces occupations forcées. Nous aussi sommes factices, en plastique, comme les simulacres que nous voyons. Composés.»

Sommaire
— Introduction
Niki de Saint Phalle et les poupées
— Poupées matériaux, poupées cibles
— Autels et tabous: poupées souillées, poupées de sang
— Poupées sublimées
Peuples de poupées
— Poupées jouets, poupées éducatives
— Poupées votives et cérémonielles
— La tradition occidentale de la poupée
Poupées d’artistes aux XXe et XXIe siècles
— Poupée singulières
— Les jeux de la poupée sexuelle
— Ateliers aux poupées
— Conclusion
— Index des noms propres
— Bibliographie sélective