PHOTO

La photographie en apesanteur : 1849-2007

PEtienne Helmer
@12 Jan 2008

Mettre la photographie en apesanteur ou comment désamorcer « l’enracinement » qu’impose son évidence mimétique. Pour le dernier volet du cycle «Zone de frictions, glissements et infiltrations», Michèle Chomette choisit de nous faire quitter terre.

Pour le dernier volet du cycle «Zone de frictions, glissements et infiltrations», Michèle Chomette choisit de nous faire quitter terre. Par leur sujet, leurs procédés et leur disposition dans la galerie, les photographies exposées désamorcent «l’enracinement» qu’impose pourtant leur évidence mimétique.

Objectif tourné vers le ciel donc, comme chez Werner Hannapel ou Jacqueline Salmon. Chez le premier, le regard se fond sans jamais s’abîmer dans cette étendue grise légèrement moutonnante, parce que chaque élément y est équilibré par son contraire : matière céleste au bord de l’immatériel, représentation limitée d’un espace en soi illimité, en une couleur à la limite de la couleur.
Ciel aussi chez Jacqueline Salmon qui, en gommant le paysage sur le fond duquel il se découpe, inverse les polarités ordinaires : ce n’est plus le ciel qui est vide, c’est la terre.

Sans avoir le ciel pour sujet, certaines perspectives en contre-plongée donnent un mouvement d’envol à ce qu’elles représentent : ainsi des figurines, parfois ailées, que José Maria Sert utilise dans le travail préparatoire à ses fresques murales. Ce travail sur le point de vue trouve son aboutissement avec les procédés techniques inventés par Joachim Bonnemaison : si les effets en sont spectaculaires — la cour de la bibliothèque de Dijon vue d’en dessous avec son arbre sans racine, comme si elle lévitait au dessus de nos têtes, ou la ville de Dijon en anneau de Moebius — cela tient à ce que ces points de vue techniquement réalisables sont empiriquement inconcevables. La vision photographique invente ici ce que l’œil ne peut pas voir, et affranchit le regard de ses limites physiques.

L’apesanteur, c’est aussi l’atmosphère d’irréalité ou de surréalité qui naît des jeux de renvois entre ces images très différentes. Explicite dans la Sex Series de David Wojnarowicz, qui tient du polar et du fantasme, et qui joue sur le contraste du négatif en noir et blanc, ce sentiment imprègne aussi les photographies dont les sujets ont pourtant la solidité objective des choses, et qui optent pour un point de vue frontal.

Dans sa déroutante simplicité, la ferme de Mikael Levin, imprimée sur un long panneau de papier, perd ainsi sa portée documentaire et se fait icône en attente d’un sens. De même pour cette pile de pont solitaire et prisonnière des glaces de Guillaume Lemarchal. Son titre, L’Iceberg, nous invite à chercher un sens «immergé» dans l’image, que sa surface immuable nous refuse obstinément. Comme si la photographie parvenait à se défaire du poids de sa propre évidence par son évidence même.

En mettant la photographie en apesanteur, Michèle Chomette crée donc un dispositif qui révèle la profondeur cachée dans la légèreté des images.

Felix Auguste Leclerc
— Prenant un ris à bord de l’Astrée, 1871. Campagne en Amérique du Sud. Épreuve d’époque sur papier albuminé d’après négatif verre au collodion. 25 x 18,5 cm

Willy Otto Zielke
— Schiller Kerze, (Victor Valet) 1931-32. Stuttgart (Bauhaus Dessau). Épreuve argentique noir et blanc d’époque, signée, datée et titrée au verso. 23 x 17 cm

Jose Maria Sert
— Etude photographique pour Le chemin de la victoire, 1943. Crypte de la Chapelle de l’Alcazar de Tolède, Espagne. Épreuve argentique d’époque retravaillée au pastel noir après légère atténuation chimique du fonds de l’image, avec mise au carreau. 24 x 30 cm

Jose Maria Sert
— Etude photographique pour Le mauvais usage de la vie et Le péché originel, ou Adam et Eve, 1944. 3e projet de décoration de la Cathédrale de Vic, Espagne. Épreuve argentique noir et blanc d’époque avec mise au carreau.
15 x 24 cm

David Wojnarowicz
— Extrait du portfolio Sex Series, 1989. Photographie argentique noir et blanc, tirage d’époque signé, daté, titré et numéroté. 37,5 x 44 cm

Mikael Levin
— Portrait de grange, 1991. Photographie argentique noir et blanc d’époque 45 x 55 cm sur papier à dessin.
105 x 70 cm

Felten / Massinger
— Bruxelles, le canal IV, 6 octobre 1994. Œuvre Caravana Obscura, impression lumineuse directe unique (sténopé) sur papier inversible couleur, marouflé sur aluminium. 103 x 247 cm

François Méchain
— Le balcon de l’histoire – Dévellopé, 2000. Version A. Pièce composée de 6 photographies, tirages d’époque sur papier baryté noir et blanc, marouflés sur alucobon. 126 x 387 cm

Joachim Bonnemaison
— L’ange des lecteurs, 2004. Bibliothèque de Dijon. Perspective concave et perspective convexe, œuvre photographique en Tondo, sur papier couleur barite. 52 x 40 cm

Guillaume Lemarchal
— Iceberg, 2006/2007. Photographie couleur sur papier argentique, marouflée sur aluminium. 100 x 66 cm

Jacqueline Salomon
— CIEL n°1, 2007. Québec. Œuvre couleur, impression jet d’encre ultrachrome Epson sur papier pur chiffon 300 gr.
50 x 60 cm

Guillaume Leingre
— Fléchette, 2007. Photographie couleur, tirage numérique marouflé sur aluminium. 41 x 48 cm

AUTRES EVENEMENTS PHOTO