ART | EXPO

La Peinture dans la non peinture

29 Oct - 04 Déc 2010
Vernissage le 28 Oct 2010

La plupart des oeuvres de Jacques Villeglé sélectionnées pour cette exposition sont inédites en galerie et n’avaient été montrées précédemment qu’à l’occasion d’expositions muséales dont la rétrospective au Centre Pompidou en 2008. Dans la cour de la galerie, Julien Berthier présente son «monstre».

Jacques Villeglé
La Peinture dans la non peinture

Pour la sixième exposition que nous consacrons au cycle du Lacéré Anonyme, nous nous plongeons cette année dans «La Peinture dans la non peinture». Si Mots (1999) et La Lettre Lacérée (2007) reflétaient la culture graphique et le goût de Villeglé pour l’écriture, si Images (2001) et Politiques (2005) nous faisaient traverser plus de cinquante ans d’histoire de la société française, Sans Lettre, sans Figure (2003) se montrait l’exposition la plus proche de la peinture abstraite au sens classique du terme. Pour autant, c’est avec la série des «affiches de peintres» que l’artiste Nouveau Réaliste règle véritablement ses comptes avec l’Histoire de l’Art.

Comme l’exprime très justement Bernard Blistène: «son oeuvre nous apparaît avant tout comme un fait plastique et comme l’affirmation qu’elle invente la peinture en la détruisant. Villeglé inscrit même son travail tel un commentaire subtil et souvent acerbe de cette instance mythique que représente la peinture. Il lui faut la continuer par d’autres subterfuges. Il lui faut bâtir ce que certains appellent «une esthétique du risque», mais une esthétique qui manifeste à tous égards son scepticisme quant à la domination d’un modèle sur un autre, quant à la suprématie d’un genre sur un autre, quant au prima de la peinture en tant que tel».

Ce à quoi l’artiste lui-même renchérit dans son texte «lorsque les peintres s’affichent»: «L’anartiste, Marcel Duchamp, «génie individuel» proposait à titre de readymade réciproque un Rembrandt comme planche à repasser, étant collectionneur de la non peinture du tout-venant. C’est par suite de plusieurs détournements que j’introduisis, cavalièrement, dans le circuit de la lacération, la peinture des individualistes de notre époque.

Ces peintures détournées par l’imprimerie pour devenir affiches sont à nouveau dévoyées, une fois placardées, par la main lacératrice de l’anonyme, avant que je n’envoie dans les musées, les galeries et autres lieux culturels ces déchets d’affiches conçues par les peintres pour une exposition, pour la propagande d’un parti, pour la réclame de tel ou tel objet manufacturé (les professionnels rendent ainsi involontairement hommage au Marchand du Sel, est-ce une nymphe amie ?)» La plupart des oeuvres sélectionnées pour cette exposition (entre 1964 et 1993) sont inédites en galerie et n’avaient été montrées précédemment qu’à l’occasion d’expositions muséales dont la remarquable rétrospective organisée par Sophie Duplaix au Centre Pompidou en 2008.

Dans la cour
Julien Berthier,
Monstre

Quelque chose s’est passé là et demeure pour le citoyen une source de fierté, de honte, de joie, de tristesse, une trace heureuse ou pas. Dans l’espace urbain, le monument, en qualité de marqueur historique ou mémoriel, opère en outil signalétique pour commémorer un personnage ou un évènement. Le projet de Julien Berthier s’attaque à cette idée de révéler publiquement quelque chose qui a existé ou qui existe encore.

Pratique vernaculaire occidentale par excellence, le «monstre» désigne ces amas d’objets ménagers qu’on trouve ici ou là déposés pour être enlevés par les services de propreté. L’artiste part de la simple constatation que ces éléments en fin de vie habitent, dans une certaine mesure et dans leur temporalité, les rues au même titre qu’une statue équestre. Même s’il est certainement assez seul à voir les choses sous cet angle de prime abord, qui pourrait lui donner fondamentalement tort? Toujours est-il que sa proposition de recréer, en bronze patiné, l’un d’entre eux repéré dans une ruelle de Belleville, s’oppose à la configuration esthétique admise dans l’environnement urbain.

Ces monstres perturbent notre idéal de normalisation sécuritaire de la voie publique, bloquent les chemins des poussettes, font trébucher les petites vieilles, etc. Bref, ils encombrent et il n’y a guère que l’étudiant sans le sou, toujours à l’affût d’une étagère Billy à retaper, qui s’en accommode. Et la sculpture de l’alchimiste Berthier de pointer du doigt le paradoxe du débat sur l’oeuvre d’art outdoor.

Toute proposition artistique dans l’espace commun est, de fait, livrée à l’appréciation démocratique dont le critère principal de jugement demeure le beau, alors même que cette notion a aujourd’hui disparu du champ critique professionnel. Si l’oeuvre d’art est désirée dans les lieux qui lui sont dédiés, elle obtient rarement le plébiscite dans l’espace public.

Le déchet dit «encombrant» est, par essence, ce dont on ne veut plus dans son intérieur, et par extension, ce qui n’est pas ou plus beau. En faire une sculpture publique dans le matériau historique et non questionnable du statuaire revient à mettre en valeur ce que chacun ne veut plus voir apparaître mais dont chacun est néanmoins responsable de la présence dans la rue.

«Montre ce que je dis, pas ce que je fais!». La logique de monumentalisation dans laquelle Julien Berthier s’inscrit aurait logiquement pu impliquer la pérennisation de l’oeuvre à un endroit précis. Mais Berthier a choisi de ne pas suivre les ténors du minimalisme sur le terrain de la site-specificity. Comme une réponse dédramatisante au cérémonieux «to remove the work is to destroy it!» de Richard Serra, le monstre poursuit cette idée que, sans être une oeuvre nomade, elle puisse interagir avec des contextes très différents.

«To remove the work is to re-activate it!». Il serait, par exemple, très intéressant de la voir installée dans un pays où cette pratique du dépôt des déchets dans la rue n’existe pas ou est strictement prohibée. Sans réel statut identifiable, l’objet se donnerait alors à voir pour ce qu’il est, un amoncellement complexe de plans, sorte de dispositif constructiviste dont l’aspect matériel ostensiblement sculptural légitime l’existence au monde.

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