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La Maison de banlieue

PPhilippe Coubetergues
@12 Jan 2008

Cinq Serving Suggestions : des installations de tableaux au sein d’arrangements décoratifs. Une exposition intitulée «La Maison de banlieue», conçue comme une unité d’habitation.

Heidi Wood expose actuellement son travail dans l’espace Camille Lambert de Juvisy. Ses Serving Suggestions sont littéralement des tableaux assortis de propositions d’accompagnement. En d’autres termes, Heidi Wood ne s’arrête pas au tableau, elle suggère des arrangements décoratifs les intégrant. Il convient donc d’appréhender son œuvre à deux niveaux: d’une part celui des toiles peintes qui fonctionnent le plus souvent en diptyques ou triptyques, d’autres part celui de l’environnement suggéré, parfois cantonné au mur, ou s’étendant à l’angle d’une pièce, voire au sol.

Chaque volet d’un polyptyque se résume pour l’essentiel en un motif généralement non figuratif sur fond coloré. Ces motifs ainsi isolés fonctionnent comme des signes qui, associés entre eux, évoquent une signalétique, un langage d’un genre nouveau sans pour autant nous être totalement étranger. Ces motifs si parfaitement élémentaires évoquent en effet les multiples pictogrammes qui informent notre environnement urbain et mercantile. Par ailleurs, la facture lissée de la couleur traitée en aplats, la découpe contrastée des contours, le jeu si précisément stabilisé des formes et des contre-formes, le rapport si justement proportionné des pleins et des vides instaurent une parenté immédiate avec ces systèmes de codes, réputés pour leur lisibilité tels que la signalisation routière ou les panneaux indicateurs des rayons de grands magasins.

Ces courtes séries de motifs juxtaposés forment ainsi des rébus insolites dont la signification serait aussi incertaine que laconique. C’est sans doute la raison pour laquelle Heidi Wood donne à chacune de ses œuvres un sous-titre sous la forme systématique d’une expression anglaise, un proverbe supposé univoque, exprimant en quelques mots le bon sens populaire mais souvent plus complexes que ce qu’ils laissent communément entendre.

L’environnement décoratif suggéré a significativement évolué depuis l’exposition de la galerie éof à Paris, en 2001. D’un agencement type corner de grand magasin (espace le plus souvent moquetté, tapissé et meublé façon seventies revival) où ses tableaux trouvaient parfaitement leur place dans un rapport ironique de mutuelle promotion, les environnements d’Heidi Wood sont passés à des espaces plus épurés, plus essentiels.
Par ailleurs, la seconde évolution de son travail tient à ce qu’elle présente comme un «débordement» du motif sur le mur. En effet, la paroi verticale qui sert de fond aux tableaux est traitée d’une façon comparable aux tableaux eux-mêmes, à savoir recouverte d’un motif qui rappelle formellement sans le reproduire un des motifs du polyptyque. Cette contamination du motif à l’espace environnant atteint parfois le sol qui se trouve selon les cas recouvert d’un motif découpé de moquette ou de lino.

C’est ainsi que les cinq «installations de tableaux» imaginées par Heidi Wood pour le Centre d’art Camille Lambert transforment le lieu de façon déterminante au point d’apparaître comme un ensemble cohérent où s’instaurent entre chaque pièce des relations plastiques et esthétiques savamment calculées à l’instar des relations internes aux polyptyques. Cette unité de l’ensemble fut même conçue comme une unité d’habitation puisque l’artiste a choisi «La Maison de banlieue» comme titre pour son exposition.

Le visiteur abordant la visite de cet «appartement témoin», témoin principalement de la réflexion que l’artiste a engagée depuis plusieurs années sur le rapport de la peinture à son environnement domestique et décoratif, prendra conscience, dés l’entrée, qu’il pénètre en fait dans le tableau, qu’il déambule au cœur d’un jeu confondant bien que «désillusionniste» (la peinture d’Heidi Wood est le contraire d’un trompe-l’œil), un système de rapports coordonnés fait de couleurs, de textures, de lignes, de formes et de motifs. Il se plaira peut-être à imaginer comment la dialectique peinture/architecture mériterait encore de nos jours, d’être mieux prise en compte par ceux qui se chargent de concevoir le décor de nos vie quotidienne.

Car l’espace parallélépipédique du Centre d’art ainsi transfiguré dans une approche qu’il serait instructif de placer dans la perspective historique du décor peint, confrontée aux stanze vaticanes, aux aménagements décoratifs du XVIe siècle français, aux drawing rooms de Sol LeWitt ou aux audacieux projets de Théo van Doesburg qui tentait d’inverser le rapport conventionnel de subordination peinture/architecture.

Autrement dit, les cinq suggestions d’Heidi Wood s’unissent en une synthèse à la fois juste et malicieuse des nombreux avantages qu’il aurait à penser l’espace à l’image de la peinture.

Heidi Wood
— Serving Suggestion (Actions Speak Louder than Words), 2002. Huile sur tissu d’ameublement. 92 x 133 cm.
— Serving Suggestion (Money is the Root of all Evil), 2002. Huile sur tissu d’ameublement. 130 x 165 cm.
— Serving Suggestion (Beauty is in the Eye of the Beholder), 2002. Huile sur tissu d’ameublement. 130 x 165 cm.
— Serving Suggestion (Waste not, Want not), 2002. Huile sur tissu d’ameublement. 146 x 198 cm.
— Serving Suggestion (Easier Said than Done), 2002. Huile sur tissu d’ameublement. 92 x 201 cm.

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