ART | CRITIQUE

La Grande élection de l’objet du siècle (Geos)

PMarine Drouin
@20 Fév 2008

Quel serait l’objet emblématique du XXème siècle ? Apportez-le avec vous ! Proposait, avec une ironie à peine masquée, le Mac/val pour son week-end de conférences et de performances sur le statut de l’objet. De la pilule à la caméra de surveillance en passant par la pièce détachée ou le stabilisateur de chakras, on n’a jamais su lequel avait été élu, et pour cause...

…Gérard Wajcman, catalyseur du projet, aura conclu de ses pensées sur le siècle passé que l’objet de l’art, c’est l’absence. En d’autres termes le vide, la vacance, la vanité, le manque : l’absence est l’autre de l’objet comme son ombre attachée, l’objet absolu, irréductible, qui « ne peut ni se détruire, ni s’oublier ».
Avant d’en arriver au charme vertigineux de cette non-réponse, mille détours ont fait osciller le sens de l’art entre des pôles opposés dont le conflit n’a eu de cesse de produire une énergie positive : légèreté de la parodie et gravité de la Shoah, abîmes de l’histoire et sens de la création, humour de l’auto-dérision et sérieux des questionnements, mécanique des usages et musicalité des partitions littéraires ou sonores.

L’objet de l’art, ou ce que l’art fait à l’objet, est justement cet intervalle entre le désir (de posséder ou de comprendre) et le fait qu’il ne soit pas tout à fait comblé. I can get no satisfaction a clôt l’intervention de Gérard Wajcman comme la ritournelle des enfants d’une société qui rime avec satiété, d’une économie de la jouissance qui produit de l’encore dans un monde de l’assez. Trente ans après, le psychanalyste résume 1968 en ces termes : « Nous pensions changer le monde, mais il avait déjà changé. […] Le monde avait changé nos désirs et nous ne voyions pas qu’il s’organisait pour les combler ».
A rebours du système transitif et clos de l’objet comme réponse aux besoins qu’il nous suggère, les trois performances de GEOS ont été orchestrées dans le sens d’une approximation, comme si les objets de notre habitation se jouaient de leur propre mécanique.

L’entreprise presque scientifique de l’Atelier Boronali s’est essayée à restaurer la performance Vitry Hall de Joël Hubaut, sa démarche de conservation déplaçant l’attention de l’objet d’art à l’énigme d’éléments non reproductibles, zones absentes d’un présent qu’aucun témoignage n’a su figer avec certitude.
La conférence imaginaire de Scali Delpeyrat, lecture performée réactivant L’objet du siècle à la faveur d’un allant drôle et touchant, n’aura pas tout à fait respecté le protocole universitaire. A singer l’appareil d’un tel exposé sans risquer le texte de son auteur, il a su introduire, à même un propos complexe sur la production des objets et objets d’art au cours d’un siècle régi par la destruction, des micro-événements relativisant la puissance du théoricien (dysfonctionnements des machineries, interventions abruptes de l’ordinaire).
Enfin, les musiciens d’Etienne Charry n’en étaient pas tout à fait, ou en étaient presque : l’activation du dispositif performatif Salon Cerveau Diffusion animait une équipe de petits soldats anonymes jouant d’instruments refabriqués en fonction des sons travaillés par l’artiste. De ce fac similé de concert émanait une poésie née de la dissociation, du hiatus entre la musique, les objets et la gestuelle des instrumentistes play back.

Trimballant le public entre rire et inquiétude, ce métissage de l’artisanat avec la technique a fini de signer la singularité de ce colloque : plutôt que d’évoquer l’objet, il aura tracé les lignes de fuite de sa généalogie en amont (une po-éthique de production) et en aval (une invention des usages).
A défaut d’une cohérence toute faite, cette série de variations nous aura fait faire un pas de côté dans le monde de l’objet, et s’il a penché du côté de la convivialité, ça n’aura pas échappé à Gérard Wajcman, dont les premiers mots ont été pour l’hospitalité du Mac/val, ni à l’assistance, allégée pour un week-end du poids du sens commun.

— Atelier Boronali, Stéphanie Elarbi et Laurent Prexl, Conservation et Restauration de l’art action. Reprise de la performance Vitry Hall de Joël Hubaut.
— Etienne Charry, Instrumentiste(s), Salon Derveau Diffusion, 2008.

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