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La fin et le lever du jour

Le vaste espace de la galerie éclairée d’une lumière crue accueille les peintures à l’huile d’Eberhard Havekost: les grands formats de Wand ou Rätsel, les couleurs attrayantes de Raumbild, et deux séries intitulées The End et The End 2 captent le regard. Le sujet animalier de Periplaneta americana fait écho à celui naturaliste de Cologne visible à l’étage, présenté aux côtés de Flatscreen.

L’artiste berlinois Eberhard Havekost travaille à partir d’une collection d’images, toutes dénuées de connotations historiques ou sociopolitiques, auxquelles il fait subir un processus d’altérations sur ordinateur. Photographies de journaux, séquences extraites de films et de vidéos, clichés personnels, sont sujets à une simplification maximale. La modification subtile des teintes et des lumières, l’étirement des formes et l’altération de la perspective visent à réduire le sujet à ses aspects les plus élémentaires. C’est cette abstraction que traduisent les peintures d’Eberhard Havekost. Aussi cherche-t-il à restituer ce que notre mode de perception retient du réel: un arrangement, une falsification.

L’aplat de gris clair de Wand représente un mur, que l’on reconnait comme tel grâce au cadrage incluant une fine bande gris foncé qui matérialise le sol. Transparaissent quelques imperfections et les traces d’un graffiti, comme si le mur avait été repeint. Du personnage de bande dessinée tagué ne subsistent qu’un Å“il et une bouche exprimant la surprise.
Peinture de style cubiste, Rätsel est composée d’aplats de gris et de rouges aux formes rectangulaires. Les lignes de perspectives dessinent un objet que l’on devine (Rätsel: «devinette, énigme» en allemand) être le meuble d’une cuisine encastrée.
Série de quatre peintures, Flatscreen combine une grande toile dont toute la surface figure l’écran plat d’un téléviseur, et trois de petits formats sur lesquelles des écrans noir ou blanc sont parsemés de petites touches de couleurs empâtées.

La blatte américaine de Periplaneta americana se détache sur un fond gris rosé. L’ombre du corps et des pattes suggère que l’insecte vole, ou qu’il est en suspension. Mais la perfection de ses ailes rutilantes et la posture équilibrée font penser aux représentations schématisées des livres d’entomologie. Comme sur une photographie prise au flash, l’éclairage de Cologne accentue les contrastes entre la blancheur d’un champignon, l’aspect terne des feuilles automnales et l’obscurité de l’arrière-plan. Contrairement à Periplaneta americana qui est guère préoccupée de réalisme, Cologne tente de saisir l’éphémère beauté des choses.

L’intensité et l’uniformité de la couleur vert émeraude foncé de Raumbild attire le regard. Depuis un véhicule spatial (on distingue le montant d’un hublot), des satellites sont représentés en gravitation au-dessus du sol lunaire creusés de ses cratères. Il émane de cet espace cosmique une sensation de silence et de plénitude.
Les deux séries de six tableaux intitulées The End et The End 2 ne représentent plus que des atmosphères dépourvues du moindre détail. Des horizons diffus aux couleurs crépusculaires, où s’estompent en se mêlant des bleus maritimes et célestes, des gris noirs nuageux, des jaunes solaires rougeoyant. Plus les toiles sont fixées longuement plus les teintes semblent se modifier dans leur intensité, comme des visions hallucinées de moments transitoires.

Les peintures d’Eberhard Havekost ne cherchent pas la précision photographique. Elles procèdent par abstractions. Elles traduisent ainsi la banalité d’un mur ou d’un objet fonctionnel avec Wand ou Rätsel, la beauté idéalisée d’un insecte ou d’un végétal fragile avec Periplaneta americana ou Cologne, ou l’harmonie d’un moment éphémère avec The End. A l’inverse de la conceptualisation qui tente de comprendre la réalité, la perception procède par abstraction, sélection, arrangement selon les désirs du sujet.

Oeuvres
— Eberhard Havekost, Wand, B09, 2009. Huile sur toile. 200 x 130 cm.
— Eberhard Havekost, Rätsel, B13, 2013. Huile sur toile. 120 x 190 cm.
— Eberhard Havekost, Raumbild, B13, 2013. Huile sur toile. 210 x 140 cm.
— Eberhard Havekost, Periplaneta americana, B13, 2013. Huile sur toile.45 x 80 cm.
— Eberhard Havekost, Cologne, B13, 2013. Huile sur toile. 80 x 45 cm.
— Eberhard Havekost, The End, B11, 2011. Série de 6, huile sur toile. 45 x 80 cm.
— Eberhard Havekost, The End 2, B11, 2011. Série de 6, huile sur toile. 45 x 80 cm.
— Eberhard Havekost, Flatscreen, B12, 2012. Série de 4, huile sur toile. 45 x 80 cm / 100 x 150 cm.
— Eberhard Havekost, Drone, B13, 2013. Huile sur toile. 65 x 90 cm.
— Eberhard Havekost, Komik, B13, 2013. Huile sur toile. 90 x 60 cm.