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La Feuille

Deux bâches rouges, prototypes de protophytes dérisoires, cosmiques, tragi-comiques par bien des égards, phénomènes amorphes ou polymorphes, anthropomorphes ou zoomorphes, et trois danseurs hors champ, underground, under cover, se la coulant douce sous la fine étoffe plastique biface, mate côté pile, luisante côté face. Des origamis en constante mutation, bruyants et bruissants. Un spectacle de spectres couleur bolchevik. Des feuilles d’automne emportées par le vent, en ronde monotone s’en vont tourbillonnant. Deux ou trois souris rouges, qui courent dans l’herbe… « Mange-la ! », crie une voix d’enfant issue du public. Aussitôt dit, presque aussitôt fait. La troisième tente finit par être avalée par la voile côté jardin — tout le monde étant ici côté jardin, puisque la représentation a lieu en extérieur. La bâche est mâchée, digérée puis recrachée.

En 2004, Nicolas Floc’h et Emmanuelle Huynh avaient déjà donné à Chamarande une pièce intitulée Numéro, conçue à l’issue d’une résidence dans le château. Cette année, ils reprennent, dans la partie la plus humide du domaine, les douves, de nos jours gazonnées et exposées au vent, une œuvre minimaliste, La Feuille, qui fut créée en 2005 à Château-Gontier.

La Feuille est une œuvre plastique (il n’y a pas d’autre mot) dans laquelle les protagonistes sont camouflés et substitués par deux-trois monochromes en toile cirée rouge, deux-trois Calder raplapla et sans mobile apparent, mais, aussi, puisque c’est écrit sur le programme, chorégraphique, présentant des formes en perpétuelle décomposition-recomposition ; un agglomérat cannibale, magmatique, énigmatique…

L’univers est celui d’un spectacle non figuratif comme on n’en fait plus — on pense aux numéros cinétiques d’Alvin Nikolais ou à ceux de Moses Pendleton. Une performance, si vous y tenez vraiment, mais à minima, limitée à une ou deux tâches somme toute assez simples — qui peut le moins peut le plus, ont peut-être pensé les auteurs.

Sec, sans concession, sans prétention autre qu’artistique, sans recherche de feed-back ou d’adhésion du public, du coup coupé de lui, le spectacle paraîtra austère à ceux venus festoyer. En absence de toute action digne de ce nom, il exige de l’attention. Durs de la feuille s’abstenir.