ART | CRITIQUE

Kristin McKirdy

PMarine Drouin
@24 Mar 2010

La galerie accueille un nouvel ensemble de pièces uniques de la céramiste américaine Kristin McKirdy. Une série à la fois systématique et intuitive, où textures et couleurs attirent le regard contemporain sur une tradition ancestrale.

Cette tradition, Kristin McKirdy la revendique à même l’écorce de ses volumes indéterminés. Leurs formes rondes ou légèrement creusées en guise de réceptacles, exhibent une enveloppe de terre chamottée et grattée.
La chamotte l’ayant renforcée avec des particules de terre cuite pilée, la glaise est éprouvée sans que sa tenue en pâtisse. Quant aux engobes qui y sont appliqués, ils sont un apprêt également fait à base d’argile délayée. Le rendu en est si brut qu’on se demande si les formes ont été arrondies ou polies, par le passage de la main ou du temps.

L’idée de durée est renforcée par la scénographie qui dispose ces pièces à la manière d’un display archéologique. On les dirait découvertes puis rassemblées par deux ou par familles selon des hypothèses qui ne nous sont pas dévoilées.

L’espace de la galerie, tout en profondeur et déjà sur deux niveaux, a été travaillé par un jeu de hauteurs entre différents podiums. Quoique conventionnelle, cette présentation saisit un nouvel univers. La hauteur moyenne en est abaissée pour substituer au regard frontal un point de vue plongeant qui ouvre d’autre dimensions. En témoigne la photographie choisie pour le carton d’invitation, prenant de haut la vue d’un interstice entre deux pièces complémentaires comme s’il était une fissure tellurique ou le couloir d’une installation de Richard Serra.

Cette mise en espace favorise à la fois une vue d’ensemble et l’immersion dans le travail de Kristin McKirdy. Tout comme son utilisation de la couleur, d’ailleurs, en contrepoint sensuel et contemporain d’une céramique sans âge : pastilles vives et autres émaux apportent à la fois un équilibre, des repères visuels pour l’oeil objectif et une séduction plus intime, au fond de jarres hypnotiques. Ces dragées de couleurs font écho aux billes et galets disséminés, composant à l’envi un code couleur proche des représentations de l’atome ou d’autres systèmes à la beauté complexe et synthétique.

Car si les pièces de Kristin McKirdy tendent à l’épure, la puissance suggestive de leurs formes et de leur disposition en appellent à des usages familiers, ancrés dans l’inconscient collectif et comme anthropologiquement classés. Entre frugalité et luxuriance, ces volumes en écrins et plateaux évoquent les gestes de poser, de prendre ou d’offrir. Plus encore, certains montrent dans leur agencement l’intelligence d’un jeu de société ou d’habileté, quand d’autres affichent des courbes assez anthropomorphiques pour que deux formes s’épousent sans pour autant s’emboîter, comme les moitiés d’androgynes du discours d’Aristophane au cours du Banquet de Platon.

C’est bien la complémentarité que la céramiste recherche avec cet assemblage d’un traitement brut de la terre et d’émaux pop. Et entre ces teintes, les contrastes jouent : le blanc, principalement, est là pour exhausser les touches d’un rouge organique et sentimental, qui se pose au fond de petits trous à la surface des volumes.
Mais les dernières expérimentations de la série tendent vers des nuances plus troubles. Des émaux pastels, doux et savoureux, viennent flirter avec le blanc dont on les distingue moins. Au fond de grands vases, on plonge un regard à perte de profondeur comme au coeur des sculptures de l’artiste Anish Kapoor, interrogeant un rose si désaturé qu’il pourrait tout aussi bien être un blanc ombré.

Aussi n’est-il pas étonnant qu’un groupe de bouteilles et autres fioles approche la picturalité d’un Giorgio Morandi, en nature morte aux objets si baignés de lumière et de matière qu’ils se confondent en silhouette et en ombre.

Ni ode à la terre, ni obsession du décalage contemporain vis-à-vis de la tradition, cet ensemble élémentaire et néanmoins prolifique de Kristin McKirdy transmet son ardeur à rendre la céramique désirable pour l’oeil actuel. Quitte à toucher, jusqu’à l’épure, ce que ces volumes ont d’intemporel : son travail est minimaliste en ce qu’il sait dessiner l’inclinaison minimale pour évoquer en nous l’empreinte de l’habitation.

Kristin McKirdy
— Ensemble de pièces présentées chez Jousse entreprise, mars 2010. Céramique colorée.
— Vue de l’exposition présentée chez Jousse entreprise, mars 2010. Céramique colorée.
— Détail, pièce présentée chez Jousse entreprise, mars 2010. Céramique colorée.

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