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Kotscha Reist

PMarie-Jeanne Caprasse
@12 Jan 2008

Appliquant un filtre d’épure et de décalage sur un monde d’images, Kotscha Reist crée un univers empreint de mélancolie où le spectateur reste tenu à distance. Avec des sujets souvent anodins, sans histoire, mais pas vraiment innocents.

De son passé de photographe, Kotscha Reist conserve l’œil. Il cadre, découpe, recentre le sujet. Photographies et articles de presse constituent la matière première de ses tableaux. Mais ce n’est pas l’image, le choc visuel, qui suscite la peinture, c’est d’abord la lecture d’un texte, d’une histoire qui le touche. Surgit une émotion qu’il va tenter de traduire en images, à partir d’un choix photographique reflétant son état d’esprit.

Ses peintures restent à distance. En dépit de leur évidence, les sujets sont comme voilés : par un rideau transparent de peinture blanche (Sad Diva), un grillage (Canvas City), une vitre (Vitrine 2) ou l’énigme d’un détail qui vient rompre l’ordinaire (Les Cinq miracles, La Cachette). Le travail des couleurs renforce ce repli de la peinture sur elle-même. Le blanc domine et neutralise toutes les teintes, bruns, gris, verts pâles… déclinant des nuances si caractéristiques des villes du nord. Reist a notamment travaillé dix ans en Hollande.

Son œuvre est empreint de mélancolie, de rêverie et de solitude. Ses sujets sont le plus souvent anodins, sans histoire mais pas vraiment innocents. Reist construit un monde figé dans une représentation et tente d’y injecter une dose d’émotion tout en gardant les images à distance, comme emprisonnées dans la toile. Il n’illustre pas, il évoque. Comme dans Beletristik (Fictions) où il représente des tranches de livres posées sur des étagères. La composition est abstraite mais prend sens grâce au titre. Ces traits de couleurs à la forme libre, se fondant l’un dans l’autre, évoquent le monde des livres, objets simples et inanimés qui recèlent tellement d’histoires particulières. Et la liberté de leur trait contraste avec la rigidité des étagères.

Reist joue souvent avec les formes. Dans Canvas City, il construit un paysage de ville à partir de l’accumulation de toiles adossées à un mur. Devant, un grillage bouche la vue et la répétition du motif entrelacé crée une rythmique. Derrière les choses, se cache autre chose… Un travail sur les grilles, la répétition des formes qu’il réalise également dans Slow Train Coming. Ou comment, en plaçant un élément figuratif et son ombre à l’avant plan — ici un petit train — il transforme un tableau abstrait en paysage de marais salins.

Si l’artiste joue la mise à distance, c’est aussi pour nous laisser dans l’expectative. A l’image des Surréalistes, il suggère que la réalité ne se résume pas à ce que l’œil voit. La Cachette, tableau montrant une petite fille se cachant derrière un arbre, est emblématique de cette approche. Le soleil semble à son zénith, la petite est chaussée de tongs et pourtant porte des moufles. Elle entoure de ses bras le tronc d’un arbre, objet phallique dont l’ombre prend la forme d’un sexe en érection. Pourtant, à première vue, on pourrait croire cette image sortie tout droit d’un livre pour enfants…

Les Cinq miracles témoigne également de la manière dont, sans en avoir l’air, Reist joue avec les signes et l’assurance du spectateur. Dans ce petit tableau figurant deux mains blanches, ouvertes, sur fond gris, un détail interpelle : des petits ronds noirs semblent transpercer les paumes, trois à gauche, cinq à droite. Ils rappellent des traces de balles, motif déjà utilisé par Reist dans d’autres tableaux.
Pourtant, rien ne permet de fixer une interprétation car l’ensemble reste énigmatique : les mains blanches pourraient être des gants ou des mains d’extra-terrestre, les ronds représenter des vides ou des pleins… Et comment ne pas penser aux stigmates du Christ, qui sait ? Pourquoi seulement cinq miracles alors que huit ronds sont figurés ? L’artiste semble laisser au spectateur le soin d’adopter le sens qui lui convient le mieux.
Sur le mur du fond de la galerie, un ensemble de quinze dessins reliés par un Wall Drawing est également à découvrir. Des aquarelles qui dévoilent des images plus intimes : un indien, un singe, une petite fille, un soldat, une maison… comme autant de protagonistes d’une histoire toute personnelle que chaque spectateur se doit de réinventer. Le mur est entièrement tatoué du motif répété de la petite fille se cachant derrière un arbre, témoignage ironique d’un auteur qui ne se lasse pas de jouer à cache-cache avec son spectateur.

Kotscha Reist
— Les Cinq miracles, 2004. Huile sur toile. 30 x 40 cm.
— Beletristik, 2001. Huile sur toile. 60 x 50 cm.
— Sans titre, 2004. Huile sur toile. 30 x 24 cm.
— X-Ray, 2004. Huile sur toile. 50 x 40 cm.
— La Cachette, 2004. Huile sur toile. 55 x 46 cm.
— Unser Auto, 2004. Huile sur toile. 50 x 60 cm.
— Flucht, 2004. Huile sur toile. 24 x 30 cm.
— After Nature, 2004. Huile sur toile. 30 x 40 cm.
— Canvas City, 2004. Huile sur toile. 146 x 180 cm.
— Wall Painting, 2004. Report sérigraphique et rehaut. Dimension variables.
— Wall Painting, 2004. Onze aquarelles sur papier. 40 x 30 cm.
— Vitrine 2, 2004. Huile sur toile. 50 x 60 cm.
— Slow Train Coming, 2004. Huile sur toile. 120 x 150 cm.
— Sad Diva, 2004. Huile sur toile. 70 x 60 cm.

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