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Kiss the past hello

PPaul Brannac
@13 Oct 2010

Outre l’allongement des files d’attente, l’une des plus regrettables conséquences de l’interdiction de l’exposition de Larry Clark aux mineurs tient au fait que des images moyennes passent soudainement au statut d’œuvre incontournable.

Que la bêtise des censeurs états-uniens soit parvenue à porter la balourdise filmique de Peter Watkins, son Punishment Park de 1971 par exemple (à ne pas confondre avec le Ken Park dudit Larry Clark), au rang de référence de la subversion cinématographique reste l’une des grandes énigmes de l’histoire du septième art.

A l’origine des effets pervers de la censure se trouve l’immuable loi selon laquelle «il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits». À ceci près qu’en démocratie, le censeur entend plaire à la foule et non au seul prince, de sorte que les critères y sont un peu plus versatiles qu’ailleurs. Comme si l’affaire était médicale, on se presse de prévenir les risques: risques artistiques et risques juridiques a avancé la municipalité. Semblables précautions sont parfaitement compréhensibles, mais tout aussi compréhensible eût été de prendre ces mêmes risques, et de se risquer à l’interprétation de la loi. À ce que l’on sait, les mamans la pudeur et autres mouettes ne font pas montre, pour leur part, d’une grande pusillanimité.

Conséquence plus déplorable encore de ces préventions: les tartuffes de la bistouquette et du pilou-pilou tiennent leur satisfecit, de ridicules ils sont devenus redoutables. Grandeur recouvrée des petits hommes; ils sont des apôtres, lui est un martyr, chacun se sent les effarouchements d’une vierge ou les émois d’un prophète. Bref, on pose.

Les bébés travestis et mobilisés pour la vente de quelque fausse eau de jouvence badinent sur les écrans mais ce sont les jeunes skateurs de Larry Clark qui heurtent le regard. (Il est vrai que certains ont la braguette ouverte). D’autres boivent et fument, souvent ils s’ébattent; les plus vieux se piquent. Parfois un noir et blanc, l’image très simple d’un jeune homme torse nu dans sa voiture révèle, à la manière de Nan Goldin, l’existence, brutale et lascive, d’un jeune américain; parfois un grand format léché et composé statufie un sexe à la manière néoclassique de Robert Mapplethorpe.
Souvent, l’appareil photographique de Larry Clark ne produit que de nouveaux clichés. S’il met en scène, l’imagination lui manque; s’il capte, c’est la chance qui lui échappe. Ni original, ni opportun, son objectif enregistre.

Comme dans ses films, Larry Clark se satisfait de reproduire la crudité d’une situation et la misère qui l’environne, l’immédiateté du rapport à la violence et au sexe des adolescents, pour apporter les preuves de la qualité subversive de ses images. Lui non plus ne prend guère de risques, ses sujets le font pour lui. Cette manière de fausse proximité est assurément l’aspect le plus désagréable de son travail, et la cause de l’équivoque qui définit non seulement la relation qu’il entretient avec ses sujets, que de ces mêmes sujets avec le spectateur.

Car il n’y a pas d’ambiguïté dans les visions de Larry Clark. Le monde des adultes est pourri, corrompu par la consommation, le fanatisme religieux, l’hypocrisie sexuelle et la rigidité sociale, tandis que celui des adolescents, bien que violent aussi, héritier de la défection des parents, victime de leur gâchis moral, aspire sincèrement à Cythère.

Parfois ils n’y parviennent pas, les jeunes se meurtrissent et jouent avec la mort, mais les images ici encore en accusent le monde des adultes. Il y a les proies et les prédateurs. Larry Clark a pris le parti des proies, son œuvre des allures de manifeste et son discours les façons d’un porte-parole (avec le danger, désormais, d’en faire le représentant officiel).
Mais Larry Clark est un adulte. Sa vision est celle d’un homme âgé. Ce qu’il voit et restitue des adolescents, c’est leur qualité d’adultes, leurs jeux d’adultes, leurs postures d’adultes, auxquels se mêlent la gaucherie ou la crânerie d’un môme. Mais de mômes justement, point.

Qu’y a-t-il d’enfantin dans les enfants (puisque des adolescents sont encore au moins autant des enfants que des adultes) qu’il représente? Qu’y a-t-il encore d’adolescent dans son regard sur eux? Il n’est pas douteux que nombre de ses modèles aient très tôt perdu toute innocence, qu’on les ait très tôt forcés et abîmés, mais un reflet, n’y aurait-il plus aucun reflet de ce qui est perdu? A la vérité il y a ce grand format, représentant deux de ses modèles favoris, Jonathan Velasquez et Tiffany Limos (2003), qui se regardent près d’un arbre et soudain montrent ou font croire à un amour de gosses.

Au reste, les photographies de Larry Clark, comme en littérature les romans de Fernando Vallejo mais avec un autre talent, s’étalent dans leur nuée complaisante d’un désespoir sans doute réel, mais insuffisant à l’art. Ces images crient fort leur naturalisme pour dire qu’elles sont lucides, elles clament haut leur radicalité pour assurer qu’elles sont authentiques; ni âpres, ni rauques, les voix de Larry Clark sont décidément par trop univoques pour qu’on en fasse si grand cas.

Lew Clark Photography (11 tirages argentiques noir et blanc)
Tulsa (33 tirages argentiques noir et blanc, dont 10 inédits)
Teenage Lust (37 tirages argentiques noir et blanc)
Larry Clark 1992 (164 tirages argentiques noir et blanc)
Punk Picasso (60 tirages chromogènes, couleur / noir et blanc)
Los Angeles et Jonathan Velasquez (21 tirages jet d’encre pigmentaire couleur)
I want a baby before u die, 2010. Collage

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