ÉCHOS
01 Juin 2010

Kazuo Ôno: octobre 1906-juin 2010

PNicolas Villodre
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C’est à l’âge de 103 ans que disparaît Kazuo Ôno, l’un des derniers représentants du buto. Connu pour sa promotion active en faveur de la «danse des ténèbres» et ses travestissements en femme sur scène (qui n’ont rien d’étonnants dans un pays habitué à voir les hommes tenir des rôles de princesses dans le théâtre Kabuki), il l’est moins pour cette passion tardive envers l’une des figures de la danse espagnole: La Argentina.






Dans les années 80, lors de sa découverte ou redécouverte en France grâce au festival de théâtre de Nancy, Kazuo Ôno s’écrivait encore «Kazuo Ohno».
Cet ancien athlète lettré polyglotte, adepte de la gymnastique rythmique du Danois Rudolf Bode, professeur d’éducation physique dans un collège de jeunes filles, eut le choc de sa vie en découvrant en 1929, sur la grande scène du Théâtre impérial de Tokyo, Antonia Mercé, qu’on surnommait «La Argentina». Il s’enthousiasma pour celle qui donna ses lettres de noblesse à la danse espagnole et fit des castagnettes un instrument de musique à part entière, et pour ce qu’elle représentait: l’exotisme de l’occident et l’art de Terpsichore.

Kazuo Ôno se forma donc à la danse au contact de Baku Ishii et Takaya Eguchi, deux des pionniers de la danse moderne au Japon, eux-mêmes disciples de Mary Wigman et du courant de l’Ausdruckstanz. Au milieu des années cinquante, il fit la connaissance de Tatsumi Hijikata, et participa au premier spectacle butô conçu par ce dernier, Kinjiki (1959), inspiré d’une nouvelle de Yukio Mishima.

Après une longue carrière comme danseur de butô, le plus pur et dur qui fût, durant laquelle il incarna, notamment, Divine, le personnage imaginé par Jean Genet dans Notre-Dame-des-Fleurs (1944), Kazuo Ôno se retira. Plus tard, il décida de dédier sa vie à la mémoire de La Argentina et développa, à partir de 1977, un solo intitulé La Argentina Sho. Cet hommage à la danseuse cherchait sans doute à réactiver le merveilleux souvenir d’une jeunesse insouciante d’avant-guerre, celle d’avant l’holocauste et d’avant Hiroshima.

L’amour pour cette figure légendaire de la danse n’avait rien d’une posture ou d’une imposture. Il était sincère, nous pouvons en témoigner. En effet, lors de la présentation d’un programme de films de danse à Yokohama, en janvier 1998, nous eûmes la surprise de voir débarquer, dans le hall de la magnifique salle du Landmark Tower, Kazuo Ôno en personne, accompagné de son épouse, venu assister à la projection d’un diaporama entièrement consacré à Antonia Mercé, réalisé par Suzanne Rousseau et Monique Paravicini, de l’Association des Amis de La Argentina…

Ce souvenir se fond dans notre esprit avec le merveilleux film de Daniel Schmid, Visage écrit, dont une partie, conçue comme un court métrage autonome, produit avec l’aide de l’Aichi Center de Nagoya, montre Kazuo Ôno sur scène, dans son incarnation d’Argentina, puis errant la nuit, dans le port de Yokohama, les pieds dans l’eau et, également, côté coulisses, en famille, auprès de sa femme et de son fils, lui-même danseur.

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