ART | CRITIQUE

Karla Rockmaster K. and Christian Andersen are showing new works

PJohana Carrier
@12 Jan 2008

Travaillées sur ordinateur, les images de nos fictions quotidiennes — la presse, la photographie de reportage et de mode, les jeux vidéo — prennent des aspects déroutants, voire inquiétants dans les œuvres de Karla Rockmaster K. et Christian Andersen présentées à Glassbox.

Vision du réel ou univers artificiel? Telle est l’ambivalence des œuvres de Karla Rockmaster K. et Christian Andersen, les deux artistes zurichois invités à Glassbox. Ils exposent leurs travaux récents: des photographies, une vidéo et une sculpture. Aucun cartel ne permet, lors de la visite, d’identifier les œuvres. Si les deux artistes ont une production bien définie, on pourrait imaginer cette exposition comme monographique.

Karla Rockmaster K. et Christian Andersen ont une attitude similaire dans leurs rapports à l’image. Ils nous présentent des fragments de réalité, retravaillés ensuite sur ordinateur. Ils semblent donner à voir une fiction rencontrée quotidiennement: la presse, la photographie de reportage et de mode, les jeux vidéo. Les images à l’esthétique familière font l’objet d’une manipulation qui leur confère un aspect déroutant, voire inquiétant.

Karla Rockmaster K. réalise des portraits et autoportraits photographiques. Les modèles sont glorifiés par un halo, leurs visages retouchés, les couleurs saturées ou inversées par solarisation. Ces effets graphiques donnent un côté artificiel à des sujets bien réels. Ils sont connus (Michael Jackson) ou inconnus. Un homme revient dans nombre d’œuvres, travesti et en situation. Il est pianiste, «pose» aux côtés d’un aigle ou du chanteur déjà cité, etc. Il s’agit de Rockmaster K. lui-même.
En artiste protéiforme, il nous propose un travail sur l’identité. Il utilise des pseudonymes, endosse de multiples altérités et pratique plusieurs activités: il est aussi DJ, musicien, directeur artistique dans la publicité. Ses autoportraits agissent comme des tentatives de dévoilement d’un personnage qui reste énigmatique.

Andersen propose des extraits de son histoire personnelle revue et corrigée à l’aide de Photoshop. Une photographie est tirée de sa série Explosions. Les vitres et pare brises d’une voiture explosent. Une grande attention est portée aux détails: chaque morceau de verre est visible, les couleurs sont nuancées, la chaleur est presque palpable et la scène presque sonore. La violence qui émane de cette image est en fait totalement artificielle. Rien n’explose vraiment dans les photographies d’Andersen. La destruction prend forme après la prise de vue.
Il atteint des lieux familiers: la voiture ou la maison d’un ami, son propre atelier, des studios d’enregistrements. Il ne cherche pas la dévastation, mais raconte une histoire, garde en mémoire. Ses photographies apportent paradoxalement une durabilité à des lieux-objets voués à terme à l’abandon, la disparition, la démolition.

Les photographies de Rockmaster K. et les explosions d’Andersen identifient clairement un motif. Immédiatement, nous sommes attirés par le sujet central, unique de l’image.
La série Street Work d’Andersen ne propose pas une lecture si évidente. Les vues urbaines exposées à Glassbox ont été prises à New York et forment le début d’une série qui se poursuit avec Paris, Berlin, Leipzig et d’autres villes à venir. Les photographies sont habitées par des personnages dont on ne sait ce qui dérange. Tout à l’air «normal», mais l’impression d’étrangeté et de décalage persiste.

Dans leur manipulation de l’image, les deux artistes rappellent Olaf Breuning, également zurichois (il vit aujourd’hui à New York). Lui aussi, en s’inspirant d’images publicitaires, cinématographiques ou télévisuelles, opère une subtile modification du contexte. L’effet est à la fois de fasciner et de gêner.
Le rapprochement avec Breuning s’impose à nouveau avec la vidéo de Karla Rockmaster K. présentée dans l’espace inférieur de Glassbox. C’est une vidéo narrative, mais dont on a du mal à saisir le sens. Trois entités animent ce moyen-métrage: une femme inquiète, des squelettes en images de synthèse jouant de la musique à l’intérieur d’un avion-oiseau métallique, et un homme-robot se débattant contre un ennemi invisible. On semble discerner un conflit, mais quelles en sont les raisons, quelles sont les armes utilisées, quelle est la défense employée? La musique des squelettes est-elle offensive? le poste de radio de l’homme-robot est-il l’objet à détruire pour échapper? à quel danger d’ailleurs? La vision est futuriste mais bricolée. L’esthétique très contrastée, le noir et blanc strident presque douloureux, les scènes décousues, rappellent les films de série Z. La vidéo de Rockmaster K agit comme une mise en abîme ironique de la culture du spectacle. La musique, les squelettes aux mouvements réduits et gauches, l’homme-robot à la gestuelle désordonnée et aux actions énigmatiques, de même que la qualité des images, ne sont pas sans évoquer King, la vidéo d’Olaf Breuning. On y retrouve une bande son très importante, une esthétique particulière, des personnages et un squelette dansant proches de ceux de Rockmaster K. Les deux œuvres nous invitent à entrer dans un environnement déplacé, à prendre part à une situation angoissante.

Avec des œuvres troublantes, Karla Rockmaster K. et Christian Andersen remettent en cause une vision du monde, une impression tangible et proposent une simulation de la réalité. Le spectateur assiste au déplacement vers une autre représentation.

Christian Andersen
— Steinfelsareal, 1999. Photographie contrecollée sur aluminium (Multicolor Fotoprint). 220 x 163,5 cm.
— Série des Street Work. Photographies (Light Jet Fotoprint). 90×60 cm. Avec encadrement: 135 x 100 cm.
Karla Rockmaster K.

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