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Kamikaze

PLaurent Perbos
@12 Jan 2008

Le Palais de Tokyo ouvre ses portes sur deux moments forts de la carrière artistique de Robert Malaval. Disparu dans les années quatre-vingt, il laisse derrière lui un foisonnement de couleurs et une prolifération de matières qui nous plonge dans un univers au destin tragique d’une grande intensité.

Le titre de l’exposition, «Kamikaze», nous rappelle la fascination de l’artiste pour ces individus qui se lancent sans retenue dans des missions mortelles. Leur geste, instant unique et irréversible, mêle «la mort et la victoire sur elle, l’échec et le mépris de l’échec, l’éloge de la vie et son sacrifice».

En 1973, Robert Malaval découvre les paillettes qu’il utilise d’abord comme simple pigment. La couleur devient poussière et les vibrations colorées surgissent à la surface jusqu’à devenir le sujet même du tableau. L’espace pictural devient alors la scène d’un spectacle rutilant. Le geste explose et le noir met en relief le mouvement et l’éclat de la matière.
Pour lui «tout à coup c’est comme la photo qui se révèle, c’est un acte d’agression et de violence totale, c’est un coup de poing». La série de Poussière d’étoiles qui scintille devant nos yeux se répand à la vitesse de la lumière. Je suis une étincelle, peint en 1977, devient l’écho de la brièveté de la vie de l’artiste.

Les transats disposés face aux toiles nous invitent à nous asseoir un moment pour contempler le spectacle de cette pluie d’étoiles filantes. Les reflets colorés sont changeants en fonction de l’éclairage et des déplacements du spectateur. On longe la paroi, happés par les scintillements hypnotiques de ces particules frénétiques, et les peintures en noir et blanc s’enflamment de rouge et d’argent.

On entre alors dans une tout autre atmosphère. La suite de l’exposition semble plus apaisante. Une succession de cadres présente des dessins à l’encre, mélanges d’écritures, de tâches et de collages. Les apparences sont trompeuses. Le calme annoncé par la couleur blanche et crème des reliefs et des sculptures-objets de la série de L’Aliment blanc matérialise les angoisses profondes de l’artiste.

Robert Malaval développe dés 1961 une technique lui permettant de mettre en forme ses déchirements intérieurs par le biais d’expérimentations liées à l’observation et à l’élevage des vers à soie. L’envahissement de cette matière vivante cristallisée devient vite inquiétante. On passe de bas-reliefs à des hauts-reliefs pour finir par contourner des objets-sculptures qui, eux non plus, n’ont pas été épargnés par cette prolifération organique. La substance qui enfle et se répand sur Le Canapé qui nous fait face en haut de l’escalier nous empêche visuellement et physiquement de nous y installer.

Libération : l’artiste exprime ici le bouillonnement de ses sentiments et tente de se libérer de ses obsessions grandissantes. Il met en place une sorte de thérapie plastique qu’il partage avec le public en laissant libre cours à chaque interprétation personnelle. Aliment blanc cultivable. Femme assise ne laisse apparaître qu’une partie du corps de la personne «scellée» à son fauteuil roulant.

Étouffement : les fils qui s’entremêlent, solidifiés par une substance inconnue, rongent avec voracité les objets exposés. Ces cocons ne sont pas porteurs de naissance. Ils deviennent eux-mêmes des insectes qui dévorent les éléments qu’ils enveloppent et qu’ils auraient dû protéger. Les «reliques» présentées nous forcent à faire un effort d’identification et nous plongent dans l’horreur hallucinatoire de l’artiste.
Comme un savant fou qui aurait fait voir le jour à une créature surnaturelle, l’artiste dompte la matière et lui donne différents visages. Tantôt apaisée et tranquille, elle semble posée là, sans bouger; tantôt menaçante et patibulaire, elle est prête à surgir.

Radiographie : les œuvres exposées ici sont les images des tourments qui menacent sa vie et qui l’entraîneront à sa perte. Nous traversons en un instant un univers fait de ruptures et de rencontres inattendues. Mélange de scintillements, de couleurs et de matières, le parcours proposé nous fait entrer avec violence et émotion dans la mission du Kamikaze et dans «l’œuvre-suicide» de Robert Malaval.

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