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K8 Hardy

PElisa Fedeli
@19 Avr 2011

K8 Hardy fait œuvre du look vestimentaire, pour brouiller les pistes entre les genres sexuels et s'amuser des stéréotypes. Si son travail photographique n'élargit pas le pouvoir de questionnement du féminisme, il est empreint d'une esthétique singulière, qui use avec bonheur de la surimpression et tire son vocabulaire de la mode: trash, punk et psychédélique.

K8 Hardy: ce pseudonyme ressemble à celui d’un graffeur et, pourtant, derrière lui se cache une femme, dont les médiums artistiques sont la vidéo, la photographie, la performance, la musique et la mode.

K8 Hardy (prononcez «Kate Hardy») est un des membres du collectif LTTR (Lesbians To The Rescue) qui milite, depuis les années 2000 autour de Brooklyn, pour la reconnaissance de la culture queer, féministe et lesbienne. Elle est également styliste. Rien d’étonnant finalement à ce qu’elle ait choisi le travestissement vestimentaire comme médium artistique et la question du genre comme thématique. Dans l’exposition de la galerie Balice Hertling, le militantisme de K8 Hardy est illustré de façon évidente dans deux sculptures, réalisées à l’aide de mannequins féminins en plastique, nus et armés d’étendards à l’effigie de femmes.

Dans une série de photographies, l’artiste, maquillée, costumée et accessorisée, se donne en spectacle. Ses rôles de prédilection sont ceux de femmes libérées, qui osent la transgression des normes sociales et dont l’existence même vient contredire l’emprise des hommes.
Dans une de ces photographies, K8 Hardy se représente en femme séduisante (son sein est découvert), les jambes écartées au-dessus d’un robinet dont coule un filet d’eau. Le robinet fait ainsi office de pénis. En opérant la rencontre du masculin et du féminin, cette image dit bien l’ambivalence de toute sexualité.

Une autre photographie représente un personnage sans qu’il soit possible de dire s’il est homme ou femme, tant son accoutrement le dissimule. Il porte à la ceinture un vagin artificiel, réalisé en mousse, et brandit une banderole avec le message suivant: «Féminisme sans femme». Un jeu de mots qui amène à réfléchir sur le rôle moteur — non pas négatif mais positif — que pourraient avoir les hommes dans la libération de la femme.

La plupart des photographies de K8 Hardy sont assez osées. Une d’entre elles met en scène une femme qui exhibe avec malice sa culotte baissée, un téléphone entre les fesses! Cependant, ce côté exacerbé est contrebalancé par d’autres situations, où l’artiste endosse des rôles plus sages, notamment ceux du clown et de femmes ordinaires. Déplacés dans des contextes moroses ou austères (les coulisses d’un spectacle, une pièce entièrement carrelée de blanc), ces personnages semblent plongés dans un profond ennui. Une critique de la norme dans laquelle ils vivent semble esquissée.

Le travestissement de K8 Hardy et la dérision humoristique des stéréotypes rapprochent son travail de celui de la photographe américaine Cindy Sherman. Pourtant, deux caractéristiques les distinguent.

L’esthétique de K8 Hardy est uniformément joyeuse et colorée, dans l’esprit du carnaval pour enfants. Pour preuve, les couleurs acidulées, orange, violet, bleu, que l’artiste a choisies pour les encadrements.

La qualité plastique des photographies de K8 Hardy réside dans l’utilisation de surimpressions. Chaque image est ainsi contredite ou étayée, dans son message, par celle qui vient la recouvrir partiellement. Plusieurs photographies détournent le modèle de l’album de vacances. Ici, une femme chic posant devant les yachts d’un port. Là, une femme assise sur des rochers dans les embruns de la mer.
Superposée à l’image de départ, une deuxième image tisse des liens avec elle et ajoute de la complexité. Elle joue ce rôle qu’a l’inconscient par rapport à la conscience. Ici, un coup de marqueur, furtif et désapprobateur. Là, l’image spectrale d’une femme qui hurle. Plus loin, un violent doigt d’honneur.
Ce procédé vient suggérer au spectateur ce qui se fomente indistinctement dans l’ombre et ce que l’esprit a préféré refouler. Dans un questionnement sur le genre, c’est une astuce efficace pour dire que la réalité est toujours beaucoup plus lisse que la vérité elle-même.

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