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Just like a woman

Ce n’est pas la première fois que Bettina Rheims  expose des nus photographiques. Elle débuta même comme cela, en 1978, lorsqu’elle prit la décision, qui n’était pas si évidente, de consacrer sa vie au vieil art de la photo. D’autres séries de nus suivirent : celles de ses premières expositions personnelles, au Centre Pompidou et à la galerie Texbraun en 1981, ou de la série de 1989 intitulée «Female Trouble», celle de 1990 portant sur les adolescents androgynes, «Modern Lovers», qui inaugura la Maison européenne de la photographie, la «Chambre Close», à laquelle collabora déjà l’écrivain Serge Bramly, qui date de 1992, celle, plutôt sulpicienne, reconstituant des scènes bibliques, ayant pour titre I.N.R.I qui, en 1999, plus de dix ans après le film de Scorsese sur frère Emmanuel, trouva moyen de scandaliser quelques bigots en France, les jeunes filles en fleurs de «X’Mas» qui date de l’an 2000, Shangai et ses jolies Chinoises, de 2003, «More Trouble» compilant des clichés de femmes célèbres, en 2004. Mis à part peut-être les animaux empaillés et la photo officielle du président Chirac, on dirait qu’elle ne pense et qu’elle ne fait que cela depuis trente ans…

Mais, attention ! La série «Just Like A Woman» est peut-être ce qu’elle a réalisé de mieux jusqu’ici. C’est un tournant dans sa carrière. On n’y trouvera, nous le pensons, rien à redire. Pas une once de vulgarité, pas un gramme de voyeurisme, aucun signe de racolage facile, pas de condescendance ou de regard hautain sur son objet, aucun maternalisme non plus.

L’exposition reprend le titre d’un morceau d’un chanteur folk pseudo-contestataire des années soixante qui plaisait aux jeunes comme aux vieux. En exergue à l’accrochage, sont collés sur un mur les trois derniers vers du refrain du tube: She makes love just like a woman, yes, she does / And she aches just like a woman / But she breaks just like a little girl (Elle fait l’amour comme une femme, est blessante comme une femme, mais rompt à la manière d’une petite fille).
À cette chanson de 1966, Sylvie Vartan avait répondu en 1968 par son 45 tours «Comme un garçon» et, plus récemment, Madonna a chanté en écho Like a Virgin.

Un tel titre voudrait-il suggérer que les jeunes filles portraiturées par Bettina Rheims n’en sont pas vraiment, des femmes ? Qu’elles en donnent l’air, comme ça, mais que quelque chose leur manque ou, au contraire, est en trop ? La question de l’ambiguïté sexuée des modèles n’est pas posée, mais la photographe est apparemment fascinée par elles, elle explore, avec finesse et tendresse à la fois, les limites de la «femme-enfant» — le concept et le corps.

Comme si elle cherchait à cerner l’essence de la nymphette. À distinguer la femme de l’enfant. Ou à saisir la part angélique de ses semblables avec la photographie, ce moyen rudimentaire mais qui a l’avantage de faire foi et donc loi.
Le texte lyrique de Serge Bramly indique des pistes qui permettent de comprendre la démarche ou, plutôt, l’état d’esprit de l’artiste. Comme toujours, le désir, des pensées fugitives ou volantes. Le déraisonnable. L’énigmatique.

Le dispositif est apparemment assez simple. La prise de vue s’apparente un peu à celle des tournages de films X. Une estrade surélevée permet de capter, en plan plus ou moins serré, toujours en plongée, en portrait, le corps dénudé du modèle, sur fond de drapé ou, plus exactement, de drap.

Les jeunes filles sont treize: des brunettes dépoitraillées, aux joues rosies pour la plupart, comme celles des paysannes normandes d’autrefois, à la peau crémeuse, avec des marques diverses sur la chair, obtenues par un maquillage savant fait de zébrures de rouge à lèvres, de tatouages soi-disant «ethniques», de fausses empreintes de bretelles de soutif, de bonnet de nuit ou de couronne d’épines, aux lèvres gercées, entrouvertes, aux dents quelquefois grisâtres, d’autres fois aux énormes incisives, aux sourcils fridakahlesques, aux yeux presque toujours écarquillés, à la limite de la révulsion (comme certains personnages de Buñuel), ceux de l’une d’elles ornés de faux-cils, aux ongles tantôt manucurés, tantôt vernis, tantôt crasseux, aux veines apparentes.

Les grands formats et la qualité des tirages nous les restituent à échelle humaine ou légèrement plus grandes qu’elles ne sont réalité. Elles sont belles. Et plus vraies que nature.

Bettina Rheims
— Série Just like a woman, 2008. 13 tirages couleur. 155 x 125 cm

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