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Julien Discrit. Up and Down and in the End it’s Only Round and Round and Round

PRaphaël Brunel
@25 Jan 2008

De l’écrit au sonore, de la latence à la rémanence, de la projection au volume, Julien Discrit réalise des œuvres enveloppées d’une aura mystérieuse qui perturbent nos façons de percevoir le temps et l’espace. En fonctionnant autant individuellement qu’en relation les unes avec les autres, elles offrent au spectateur la possibilité d’écrire son propre scénario, de dénouer les invisibles fils qui les lient. 

Up and Down and in the End It’s Only Round and Round and Round, la première exposition personnelle de Julien Discrit à la Galerie Martine Aboucaya trouve sa double origine dans un titre extrait de l’album Dark Side of the Moon de Pink Floyd et dans un rêve fait par l’artiste. Le parcours du spectateur s’annonce ainsi sous le signe de la perturbation sensorielle et de l’expérimentation perceptive.

Le rêve est retranscrit sur papier, encadré et intitulé Diagrammes. Le titre de l’œuvre lui confère valeur de fil conducteur, de point de départ et de prolifération, de synopsis ouvert de l’exposition. Julien Discrit rêve un récit diachronique, une traversée de différentes époques,  personnages et références historiques, d’un champ de bataille en compagnie de Louis XIV à l’époque moderne en passant par la description d’un visage de femme sur une tapisserie. Le rêve abat ici les barrières chronologiques et la cohérence historique pour ouvrir la narration à la syncope, au cut-up. Ce voyage transhistorique, d’anachronismes en décalages, confère au texte un petit côté Fleurs bleues et place l’onirisme, le merveilleux et la projection mentale au cœur du projet de Julien Discrit.

Véritable matrice, ce rêve a engendré d’autres œuvres comme Sophia, un portrait de femme, qui rappelle celui évoqué dans le texte. Il s’agit d’une photographie couleur projetée en grand format sur un mur. La composition en clair-obscur insuffle à l’image une tension dramatique, une aura mystérieuse, mi-cachée mi-révélée, entre songe et réalité, qui évoquent les scènes du Caravage ou les portraits, plus tardifs, de Rembrandt, Vermeer ou Georges de La Tour.

Le portrait de cette femme qui se dévoile partiellement fait écho à l’installation What Is not Visible Is not Invisible, une inscription murale qui n’apparaît que lorsque le passage d’un visiteur déclenche une lumière ultraviolet. L’invisible est ainsi paradoxalement rendu visible.

Cette image latente fait place à une projection de 80 diapositives décomposant les mouvements des Katas réalisés par le judoka  Jigoro Kano et son disciple. Ce découpage séquentiel, qui n’est pas sans évoquer les expériences réalisées par Etiennne-Jules Marey et Eadweard Muybridge, est diffusé sur un écran fluorescent qui conserve l’empreinte de l’image précédente.
Sur un mode rémanent, plusieurs vues se superposent et suggèrent la nature fantomatique de la projection et de l’image en mouvement : les plans se succèdent mais sans cette fois disparaître immédiatement au profit d’un autre. Julien Discrit met ainsi en place les possibilités et les outils d’une archéologie de l’image, en en perturbant la temporalité de diffusion et de réception.

Des œuvres en trois dimensions participent également à ce trouble des repères auquel nous invite l’artiste. Up and Down and in the End It’s Only Round and Round and Round est composé de 22 mètres linéaires de fils de plexiglas malléables qui représentent, comme extirpé de son lit et propulsé à un mètre du sol, le Mississipi et ses principaux affluents. La géographie du fleuve est ainsi rendue physiquement appréhendable par le spectateur.
Une salle à l’écart renferme l’œuvre la plus intrigante de l’exposition : une dent en opaline protégée par une cloche en verre. Elle renvoie à la découverte d’un squelette de plésiosaure entièrement opalisé et traduit la transformation de l’organique en minéral, le passage d’une essence à une autre.

L’ensemble de l’exposition est bercée par les bruits qui émanent d’une boîte blanche : voix d’outre-tombe qui énumèrent d’obscures séries de chiffres, parasitages radiophoniques.

Ainsi, de l’écrit au sonore, de la latence à la rémanence, de la projection au volume, Julien Discrit réalise des œuvres enveloppées d’une aura mystérieuse qui perturbent nos façons de percevoir le temps et l’espace. En fonctionnant autant individuellement qu’en relation les unes avec les autres, elles offrent au spectateur la possibilité d’écrire son propre scénario, de dénouer les invisibles fils qui les lient.    

Julien Discrit
— Diagrammes (première partie), 2008. Récit de rêve manuscrit, stylo sur papier. 21 x 29,7 cm.
— Sophia, 2008. Projection, une diapositive couleur.
— Sans titre, 2008. Série de dessins réalisés par frottage, graphite sur papier 90 g. Dimensions variables.
— Where There Were eyes There’s Only Space, 2008. Installation sonore, bois. 38 x 32 x 32,5 cm.
— What Is not Visible Is not Invisible, 2008. ENcre invisible, ampoule lumière ultraviolet. 12 x 280 cm.
— Up and Down and in the End It’s Only Round and Round and Round, 2008. Plexiglas. 2,90 x 3 x 2,70 m.
— Afterglow, 2008. Opale blanche, corde de piano, bois, globe en verre soufflé, Led blanche. 25 x 12 x 10 cm.
— Slow Light, 2008. Diaporama sur écran phosphorescent.    

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